L’analyse de l’apprentissage, ses effets en éducation et des recommandations
L’analyse de l’apprentissage (learning analytics) exploite les traces numériques que laissent les personnes pour optimiser leur apprentissage et, donc, leur réussite. Les occasions de s’intéresser aux données des personnes apprenantes se sont multipliées depuis l’arrivée de la Covid-19, parallèlement au désir d’assurer une certaine continuité pédagogique chez les élèves. Parent et Baron (2021) abordent l’analyse de l’apprentissage en s’appuyant sur les recommandations du groupe de travail numéro six durant l’EDUsummIT2019, puis se livrent à quelques réflexions.
L’International Summit on Information Technology in Education (EDUsummIT) est un évènement bisannuel. Il rassemble une communauté internationale de chercheurs et de chercheuses ainsi que d’autres personnes engagées à soutenir l’intégration efficace des technologies de l’information et de la communication (TIC) en éducation. L’évènement promeut une diffusion active de la recherche et de ses applications.
Les trois dernières éditions de l’EDUsummIT ont reconnu l’analyse de l’apprentissage comme une piste d’action prometteuse.
- En 2015, un groupe de travail préconisait de soutenir le développement de l’analyse d’apprentissage pour améliorer l’évaluation – incluant la rétroaction formative.
- En 2017, un groupe de travail mettait en évidence le besoin de regrouper les traces (preuves) d’apprentissage et de documenter le contexte, alors qu’un autre groupe soulignait la complexité d’un bon traitement des données (collecte, interprétation et utilisation) pour soutenir les élèves et le personnel enseignant.
- En 2019, le groupe de travail numéro six cherchait à mieux comprendre comment l’analyse de l’apprentissage améliorait le processus d’apprentissage. Cette étroite collaboration a conduit à la formulation de recommandations quant aux futures orientations de la recherche sur l’analyse de l’apprentissage et son intégration.
Il faut savoir que l’analyse de l’apprentissage a commencé vers les années 2000 avec l’analyse de traces dans les environnements numériques d’apprentissage (ENA) en vue de mieux cerner les comportements des personnes apprenantes et de s’ajuster en conséquence. C’est aussi un domaine scolaire ainsi qu’un marché commercial qui grossit rapidement depuis la dernière décennie et qui, surtout, touche différents acteurs ayant des intérêts variés (groupe de recherche, personnel enseignant, direction d’établissement, concepteur pédagogique, décideur politique, entreprise). À l’évidence, cette hétérogénéité regorge de conflits potentiels. Par exemple, tout le monde semble s’entendre sur l’importance d’optimiser l’apprentissage, mais on « se dispute » la signification de l’optimisation, ses critères d’évaluation et les moyens pour renforcer l’apprentissage. De même, les objectifs et les méthodes de l’analyse de l’apprentissage varient sur plusieurs aspects comme la perspective choisie (descriptive, diagnostique, prédictive ou prescriptive), le but poursuivi (modélisation, prévision, optimisation des données ou prise de décisions), l’agentivité reconnue chez les personnes apprenantes et leur degré de participation directe dans l’analyse de l’apprentissage. Du reste, le contenu diffusé, la forme des données choisies (symbole, texte, chiffre, graphique) et le moment où elles sont communiquées pèsent sur l’utilité perçue de l’analyse de l’apprentissage.
Six recommandations
Devant cet immense tableau, Parent et Baron (2021) reprennent les six recommandations formulées durant l’EDUsummIT2019.
Soutenir la pratique fondée sur des données probantes afin qu’elle soit conduite par l’analyse de l’apprentissage. Cette recommandation implique d’avoir des politiques qui canalisent une saine gouvernance des données ainsi qu’un accès ouvert aux ressources et aux meilleures pratiques.
Promouvoir l’adoption de l’analyse de l’apprentissage. L’élaboration de politiques, de normes et de principes directeurs contribuerait à diffuser l’utilisation de l’analyse de l’apprentissage, à renforcer l’interopérationnalité des outils, à assurer un « sceau de qualité » de la démarche, ainsi qu’à rendre plus transparents les algorithmes utilisés (ou du moins leur « explicabilité »). Les personnes conceptrices et utilisatrices partagent cette responsabilité de la bonne compréhension des systèmes qui soutient l’analyse de l’apprentissage.
Informer et guider les fournisseurs de services de données et les utilisateurs. Pour ce faire, il faut promouvoir l’évolutivité des outils d’analyse de l’apprentissage; cette durabilité doit aussi assurer une qualité éthique (p. ex. respect de la vie privée, cybersécurité) de sorte qu’un utilisateur puisse savoir le type d’informations collectées ainsi que de la manière elles sont collectées, stockées et traitées. Le RGPD, le ISO/IEC 27, la charte du projet HUBBLE en France, le projet de loi n° 64 au Québec représentent des mécanismes qui vont dans cette direction.
Influencer l’apprentissage par des outils d’analyse. Cela devient possible en veillant à ce que toutes les personnes concernées s’approprient suffisamment de connaissances en science des données et qu’elles aient des outils d’analyse répondant à leurs propres besoins. Ainsi, les gens seront en mesure d’être plus critiques quant à l’utilisation de leurs données et des résultats des algorithmes d’analyse.
Tirer parti de la relation entre design pédagogique et analyse de l’apprentissage. L’analyse de l’apprentissage aiderait ainsi à déterminer les fondements de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation dans le design pédagogique. En contrepartie, le design situe les données de l’analyse de l’apprentissage à partir de ses composantes comme les intentions pédagogiques, les activités, les scénarios prévus, etc. À l’évidence, il y a interdépendance entre les deux et le renforcement de leurs liens ne peut qu’être bénéfique.
Comprendre les répercussions de la combinaison de données de tous les secteurs sur les interactions avec les individus. La combinaison de données crée de nouvelles données. Les combinaisons possibles deviennent astronomiques, aussi bien que les risques, dès que l’on considère le traitement multimodal (image, voix, données sensorielles, etc.) ou l’intégration de différents secteurs (données de santé, socioéconomiques, comportementales, réseaux sociaux, etc.). C’est pourquoi la vigilance s’impose et les mêmes garanties de confidentialité, de transparence, de traitement loyal, de sécurité et de contrôles par les personnes concernées doivent s’appliquer à toutes les données et combinaisons possibles.
Réflexions complémentaires
Parent et Baron (2021) poursuivent la réflexion :
- La pandémie a souligné des disparités dans l’accès aux TIC et dans leurs usages. Ces freins et d’autres obstacles systémiques compliquent l’ajustement des pratiques par l’analyse de l’apprentissage.
- La prévalence accrue de logiciels d’analyse de l’apprentissage automatise des décisions entourant la classe – parfois au détriment du jugement professionnel du personnel enseignant. L’utilisation de ces logiciels a des conséquences sur l’organisation scolaire, ses acteurs et leur développement professionnel.
- La conception des outils d’analyse de l’apprentissage gagnerait à favoriser des approches comme le user-centred design et le design-based research en vue de s’intéresser davantage aux humains derrière les traces numériques et leur environnement d’apprentissage pour mieux soutenir la réussite. Ces approches se puisent à la fois dans des initiatives à grande échelle et dans des initiatives plus locales et situées.
- Le déploiement de l’analyse de l’apprentissage doit porter une attention au développement durable. Dans quelle mesure une généralisation de l’analyse de l’apprentissage sera-t-elle soutenable pour les gens, la technologie et la planète? Combien de ressources (matérielles, humaines, énergétiques) seront nécessaires à un tel fonctionnement? Quelles répercussions écologiques cela occasionnera-t-il?
- Réfléchir à l’analyse de l’apprentissage peut s’inscrire dans le cadre plus général du développement numérique, qui est alimenté par divers comités d’éthique. Par exemple, la déclaration de Montréal formule des recommandations en matière de protection et d’exploitation des données personnelles, de transparence algorithmique, de littératie numérique et d’inclusion de la diversité; elle mise aussi sur des principes comme le bien-être, le respect de l’autonomie, la solidarité, l’équité, la prudence. Ces derniers pourraient également orienter les prochaines réflexions sur l’analyse de l’apprentissage.
- L’utilisation des données de l’analyse de l’apprentissage et son importance grandiront probablement dans le contexte actuel où les activités d’apprentissage en ligne sont encouragées, voire imposées, alors que les écoles sont partiellement ou entièrement inaccessibles, en raison de la pandémie.
Référence
Parent, S. et Baron, M. (2021). Emergence of Learning Analytics in Education: Challenges and Issues of Learning Analysis. Canadian Journal of Learning and Technology, 47 (4). https://doi.org/10.21432/cjlt28053sw
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