Comment définir et mobiliser les « pratiques efficaces reconnues par la recherche » ?
Il existe diverses manières de concevoir ce qu’est une pratique efficace reconnue par la recherche. La notion est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, pour se mettre d’accord sur ce qu’est une telle pratique, il faut être d’accord sur ce qu’est une pratique, sur ce qu’est être efficace et sur comment une recherche peut contribuer au processus de validation de ce qu’on nomme « efficacité ». Il existe des positions nuancées sur la question qui seront présentées dans cet article.
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Les pratiques efficaces
En s’appuyant sur la conception des pratiques éducatives formalisées par Marguerite Altet (2002) et sur l’idée que la finalité de l’école est la réussite éducative des élèves, il est possible d’adopter la définition suivante :
Une pratique efficace est une pratique (entendue au sens d’une manière de faire, associée aux objectifs, aux compétences et aux savoirs disciplinaires, aux stratégies, aux valeurs et aux idéologies mobilisées pour prendre la décision d’agir) qui soutient la réussite éducative des élèves.
Pour reprendre la pensée de Donald Schön (1994), une pratique sera considérée comme pertinente – ou efficace – lorsqu’elle favorise l’adéquation entre une intention et les résultats obtenus.
L’usage du concept nécessite des précautions, car l’idée même de pratique efficace est controversée si ce n’est polémique. Si tout le monde peut s’entendre sur l’intérêt de chercher à identifier les pratiques qui soutiennent la réussite éducative, beaucoup trouvent que ce peut être vain et parfois risqué. Vain, car des pratiques qui seraient efficaces dans tous les contextes n’existent sans doute pas. Risqué, car d’une part l’idée de pratique efficace pourrait laisser penser qu’il existe des recettes qui, appliquées, garantissent la réussite de tous en tout temps. Risqué, d’autre part, car ce terme est souvent associé à la gestion axée sur les résultats et à un biais qui vient avec cette approche : le biais de résultats. Ce biais consiste à se concentrer sur les résultats à des évaluations ou à des tests en oubliant qu’ils ne reflètent jamais exactement ce qu’ils sont censés mesurer. Il y a aussi un risque (et une tendance) à imputer la principale responsabilité des résultats au personnel enseignant et à leurs pratiques alors que nombre de facteurs directs et indirects sont susceptibles d’influencer la manière dont les élèves tirent parti de cette pratique.
Pour sortir de cette polémique, les auteurs invitent à la prudence, en adoptant une précaution simple : ne jamais évoquer une « pratique A efficace » en soi. Plutôt être précis en mentionnant que la « pratique A est considérée comme efficace pour soutenir B, telle qu’appréhendée à partir de C, auprès des élèves D, dans un contexte E ».
A est ici la pratique dont il est question ; B, l’aspect de la réussite éducative ou du développement de la personne qu’elle soutient ; C, le ou les outils qui sont mobilisés pour rendre compte de ce soutien ; D, les personnes auprès desquelles le soutien a été constaté ; et E, les caractéristiques du ou des contextes dans lesquels la pratique a été conduite.
La reconnaissance des pratiques efficaces par la recherche
Dans le champ des recherches en éducation, une pratique peut être reconnue comme efficace lorsque l’on dispose de données de recherches indiquant qu’elles le sont. Ces données constituent alors des formes de preuve d’efficacité. Les sciences de l’éducation et leurs disciplines contributives établissent deux types de preuve : les preuves statistiques et les preuves culturelles (Sensevy, 2022). Pour en apprendre davantage sur les deux types de preuve, vous êtes invité à consulter les deux infographies ci-dessous.
Infographie preuves statistiques
Infographie preuves culturelles
Conclusions
Au terme de ce texte, nos recommandations seraient les suivantes :
- Adopter une définition des pratiques efficaces reconnues par la recherche comme : une pratique (manière de faire, associée aux objectifs, aux compétences et aux savoirs disciplinaires, aux stratégies, aux valeurs et aux idéologies mobilisées pour prendre la décision d’agir) qui soutient la réussite éducative et l’expression du plein potentiel des élèves, pour laquelle on dispose de preuves culturelles ou statistiques d’efficacité.
- Prendre des précautions d’usage en parlant : de « pratique A, considérée comme efficace pour soutenir B, telle qu’appréhendée par C, auprès des élèves D, dans un contexte E ».
- Faire bon usage des pratiques ainsi identifiées. Selon les auteurs , il est important : 1) de faire en sorte d’une part que les enseignants prennent connaissance des pratiques qui sont identifiées comme efficaces par des preuves culturelles ou statistiques et d’autre part que les enseignants contribuent à leur développement, notamment lorsque ces pratiques répondent à des besoins identifiés pour leurs élèves en particulier; 2) de leur fournir des occasions de développement professionnel leur permettant, d’une part, de comprendre la pertinence et les limites des deux types de preuve et, d’autre part, de développer une approche critique des résultats de recherche ; 3) d’accompagner ceux qui le souhaitent pour s’approprier les résultats des recherches qui identifient des pratiques efficaces (cette appropriation peut prendre différentes formes : souvent, ce sera l’appropriation de nouvelles pratiques, mais parfois ce sera l’acquisition de connaissances qui viendront plus tard appuyer des prises de décision) ; 4) d’assortir cet accompagnement à des collectes de données permettant l’établissement de nouvelles preuves culturelles et statistiques. Plus spécifiquement par rapport aux points 2, 3 et 4, les auteurs pensent qu’un accompagnement main dans la main par des personnes chercheures et des personnes conseillères pédagogiques est un modèle porteur à poursuivre.
- Prendre conscience du fait que les pratiques efficaces identifiées par la recherche, que ce soit avec des preuves culturelles ou des preuves statistiques, ne représentent qu’une petite portion des pratiques qui existent et qui peuvent soutenir les élèves. Ainsi, il importe de continuer à donner la parole aux personnes enseignantes pour qu’elles partagent des pratiques qu’elles jugent efficaces pour des enjeux rencontrés par leurs collègues qui ont des problématiques comparables. Il y aurait un intérêt majeur à le faire de manière concertée avec des personnes chercheures, avec comme perspective de formaliser lesdites pratiques et d’établir de nouvelles preuves culturelles ou statistiques, dans une perspective de communauté apprenante.
- Prendre conscience que, en dépit de la pertinence des pratiques efficaces, la recherche en sciences de l’éducation porte sur bien d’autres aspects que l’efficacité et que ceux-ci peuvent aussi aiguiller, d’autres façons, la prise de décision des intervenants des milieux scolaires.
Vous pouvez cliquez ici pour accéder à l’article complet.
Note pour positionner les auteurs par rapport aux approches proposées
Loïc Pulido conduit des recherches qui s’intéressent aux pratiques éducatives avec une entrée plutôt statistique. Il a une ouverture et une sensibilité vis-à-vis de l’approche culturelle et a mené quelques recherches qui incluent cette approche et parfois l’articulent à l’approche statistique.
Stéphane Allaire conduit des recherches qui s’intéressent aux pratiques éducatives avec une entrée plutôt culturelle, en particulier des approches participatives visant le développement d’innovations à partir de besoins manifestés par les milieux scolaires. Il reconnaît la pertinence de l’approche statistique et la combine à l’occasion à des recherches qui sont plutôt de nature culturelle.
Références
Altet, M. (2002). Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : l’analyse plurielle. Revue française de pédagogie, 138, 85-93.
Ramus, F. (2020). Comment savoir ce qui marche en éducation ? disponible à https://ramus-meninges.fr/2020/10/25/ce-qui-marche-en-education-2/
Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif: à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Logiques.
Sensevy, G. (2022). Vers une épistémologie des preuves culturelles. Éducation et didactique, (16-2), 145-164.
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