Le Pacte social pour l’éducation dans La Mitis

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Mis à jour le 04 Mar 2022

La région de La Mitis au Bas-St-Laurent connait des difficultés nombreuses, entre autres en ce qui a trait à la persévérance et à la réussite scolaires. Un Pacte social pour l’éducation est instauré en 2008, visant à mobiliser la communauté mitissienne autour de ces objectifs. La recherche-action que j’ai menée dans ce contexte a permis de dresser l’état de la situation, de faire des recommandations et d’accompagner les acteurs dans la mise en œuvre d’une stratégie intégrée. Une recherche-action permet de transformer le réel, mais aussi de produire des connaissances concernant ces transformations.

Le contexte et la méthode

La Mitis regroupe 20 000 personnes réparties sur trois territoires: le littoral est la portion de 40 kilomètres qui longe le fleuve, les terres regroupent des villages à vocation agricole et le haut-pays est tissé d’une population qui vit de foresterie. Alors que la population du littoral est plutôt prospère, celle des terres habite de petites municipalités dévitalisées et la population du haut-pays est lourdement touchée par la crise forestière. Plus on s’éloigne du littoral vers l’est, plus les taux de sortie sans diplôme tendent à augmenter, atteignant même dans certaines municipalités 75%, chez les garçons.

L’école Le Mistral de Mont-Joli est la principale école secondaire de la région. Elle accueille 875 élèves de la première à la cinquième secondaire. Elle connaît des problèmes importants: haut taux de décrochage, forte mobilité du personnel enseignant, mauvais climat dans l’école, démotivation des jeunes et du personnel, mauvaise réputation dans le milieu. La Commission scolaire des Phares m’invite à l’accompagner dans sa démarche visant à améliorer la situation dans La Mitis sur le plan de la réussite scolaire.

Cet accompagnement prend la forme d’une recherche-action réalisée de juin 2008 à décembre 2009. Elle prévoit un volet externe dans la région et un volet interne à l’école. La récolte des matériaux repose sur quatre stratégies: (1) l’analyse documentaire permet de documenter les thèmes liés aux phénomènes observés; (2) l’analyse statistique vise à situer la région et l’école par rapport à d’autres régions et à d’autres écoles, considérant des indicateurs variés; (3) l’enquête se traduit par des entrevues semi-dirigées avec des membres de l’équipe-école (n = 35), des parents (n = 20), des personnalités régionales (n = 10) et un groupe de discussion avec des élèves (n = 12), auxquels s’ajoutent une dizaine de courriels et d’appels téléphoniques de parents, ainsi que des commentaires inscrits sur le site Web permettant de commenter la démarche (514 visites); (4) l’observation implique ma présence à l’école et dans la région au rythme habituel d’une journée par semaine lors de l’année scolaire 2008-2009.

En outre, j’ai rencontré collectivement tous les membres de l’équipe-école à trois reprises, les parents et les membres du conseil d’établissement à quelques occasions. J’ai participé à une dizaine de rencontres avec des personnalités socioéconomiques et la direction de l’école. Je rendais compte de la démarche chaque mois au conseil des commissaires, qui a voté une journée pédagogique spéciale afin de permettre à l’équipe-école de s’approprier l’état de situation et de proposer des solutions.

Les grands enjeux

L’école Le Mistral fait face à des problèmes qui s’inscrivent dans le contexte d’enjeux qui sortent souvent du cadre scolaire. Six grands enjeux sont repérés. Les trois premiers sont liés à l’environnement externe et les trois autres, à l’environnement interne.

1. La défavorisation

La Mitis est moins favorisée sur le plan socioéconomique que les autres régions du Bas-St-Laurent. L’indice de défavorisation de l’école est de 10, soit l’indice maximal. Il faut s’attaquer au problème de la défavorisation si on veut servir la cause du décrochage scolaire (un enseignant).

2. Les comportements et les habitudes de vie des jeunes

La consommation de drogues est importante dans La Mitis, comme en témoignent les intervenants sociaux et les statistiques de la Sûreté du Québec. Le désœuvrement des jeunes est en partie responsable de cette situation. La violence et l’intimidation sont très présents. Beaucoup d’élèves travaillent plus de 15 heures par semaine, parfois durant les heures de classe.

3. Le clivage école-famille-milieu

Les gens du milieu considèrent qu’il n’est pas facile de s’impliquer dans cette école. Les intervenants sociaux remarquent que le potentiel des projets de collaboration école-milieu est sous-estimé par l’école. Elle n’a pas bonne réputation à cause de la publicité négative induite par les statistiques et le palmarès des écoles.

4. L’organisation scolaire

L’équipe-école attribue la responsabilité des problèmes aux élèves difficiles, aux parents peu responsables, à la direction peu encline à les soutenir, à la commission scolaire qui les néglige, à la réforme mal comprise et à un manque de vision. Elle déplore l’absence de leadership pédagogique. Le code de vie de l’école est interprété de manière trop libérale. L’équipe-école est inquiète pour l’avenir des programmes d’enrichissement.

5. L’intégration des élèves et du personnel

La transition du primaire vers le secondaire est difficile parce qu’il y a rupture des services personnalisés aux élèves. L’école ne propose aucune vision, ce qui a comme conséquence que la culture organisationnelle est marquée par la structuration en clans et l’absence de coopération. L’équipe-école croit ne pas être considérée avec estime par la population, par les élèves et par la direction.

6. La mobilisation des élèves et du personnel

L’absentéisme des élèves est un problème préoccupant: seulement 20% des absences sont justifiées par la maladie, ce qui suggère une connivence des parents. Les activités d’enrichissement sont privilégiées au détriment des activités régulières. Les enseignants constatent un déficit démocratique dans l’école. Les personnes engagées dans les activités parascolaires jugent que ces tâches ne sont pas réparties de façon équitable. L’équipe-école se réfère à un passé idéalisé, alors qu’un directeur charismatique défendait vigoureusement son école et son milieu.

Les initiatives proposées

L’équipe-école convient d’explorer les recommandations du rapport de recherche déposé en janvier 2009 et de déterminer les actions à entreprendre pour chacune: (1) développer une vision de l’école qui lui soit propre; (2) planifier les activités de manière plus intégrée; (3) contrer la structuration en clans; (4) privilégier la fonction de leadership pédagogique; (5) affirmer la spécificité mitissienne de l’école; (6) accueillir les initiatives du milieu qui contribuent à sa mission; (7) démocratiser la gestion de l’école.

L’équipe-école définit les axes d’un plan de relance lors de la journée pédagogique spéciale de février 2009. Des ateliers et des plénières permettent de camper la vision de l’école sur la base d’un consensus. Cette vision est caractérisée par les valeurs de respect, de responsabilisation et de rigueur. Quatre chantiers sont définis et pour chacun, un pilote est choisi: (1) l’organisation scolaire; (2) l’environnement scolaire; (3) la pédagogie; (4) l’ouverture de l’école à la famille et au milieu. La commission scolaire investit un budget substantiel pour soutenir les travaux de ces chantiers.

Le quatrième chantier est lié au pacte social. En juin 2008, la commission scolaire invite les organismes de La Mitis à une rencontre afin de les sensibiliser aux problèmes. Un sous-comité se réunit mensuellement pour élaborer des stratégies. En mars 2009, les premiers partenaires signent le pacte social. En mai, le sous-comité propose un plan d’action pour 2009-2010. Il a comme objectif de sensibiliser le milieu à l’importance de concilier le travail et les études. Les employeurs s’engagent par contrat à favoriser la réussite scolaire de leurs jeunes employés, selon des modalités précises.

À l’école Le Mistral, une stratégie est aussi déployée pour créer un rapprochement avec les familles et le milieu. Un système téléphonique automatisé assure le rappel des communications écrites livrées aux parents. Le site Web de l’école est plus convivial et mis à jour fréquemment. Une agente de communication est embauchée pour mieux faire connaître les réalisations de l’école. À cela s’ajoutent de nombreuses activités portes ouvertes et la participation de la direction aux travaux des organismes régionaux.

Ce qu’il est utile de retenir

Des membres de l’équipe-école, des parents et des personnalités socioéconomiques observent des progrès significatifs suite à la mise en œuvre du pacte social et du plan de relance de l’école Le Mistral. En un an, 50 employeurs adhèrent au pacte social, ce qui constitue une masse critique importante. Ils proposent des pratiques exemplaires en lien avec le travail de leurs employés étudiants. Le taux de décrochage à l’école chute de trois points en un an, pour atteindre 25,8% en 2008-2009 (contre 28,8%). Il n’est pas possible d’établir un lien causal direct entre les stratégies déployées et cette progression, mais celle-ci constitue une source de motivation.

Le climat de l’école s’est amélioré. Les taux de réussite aux examens ministériels sont en hausse. Le taux de rétention des enseignants est meilleur. L’école remporte des succès sportifs qui contribuent à améliorer sa réputation (notamment le Bol d’Or au football). La recherche-action a contribué à créer un moment charnière entre le avant et le après. C’est cependant grâce à l’engagement de l’équipe-école et celui du milieu que ces succès sont possibles. Les problèmes liés à l’environnement externe subsistent cependant, avec plus d’intensité, considérant la crise forestière qui sévit. Des personnes engagées dans la mise en œuvre du pacte social remarquent aussi que le travail de mobilisation est à faire de façon continue. Les bonnes habitudes résistent mal aux contraintes du quotidien.

Références

Bernatchez, J. (2009). État de la situation à l’école Le Mistral de Mont-Joli au plan de la réussite scolaire, Rimouski, UQAR, 130 p.

Bernatchez, J. (2010). «Pacte social pour l’éducation dans La Mitis» dans G. Pronovost (dir.), Familles et réussite éducative, Québec, PUQ, p. 155-175.

Cartodiplôme (2011). http://www.cartodiplome.qc.ca/, consulté le 14 décembre 2011.

Potvin, P., L. Fortin, D. Marcotte, É. Royer et R. Deslandes (2007). Y’a une place pour toi! Guide de prévention du décrochage scolaire, 2e édition, Québec, CTREQ, 102 p.

Resweber, J.-P. (1995). La recherche-action, Paris, PUF, 127 p.

Thériault, C. (2009). «Le Bol d’or au Mistral de Mont-Joli: une motivation bienvenue dans l’école», Le Soleil, 28 novembre.

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