Un détecteur qui tourne les coins ronds sur l’enseignement à distance

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Mis à jour le 03 Mai 2022

En mars dernier, un article[1] du Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse avait pour objectif ambitieux de vérifier les faits (fact checking) selon lesquels l’enseignement à distance au primaire et au secondaire nuit à l’apprentissage.

Le verdict prononcé était sans appel : Vrai!

Le texte conclut que « l’efficacité de l’école virtuelle et de l’enseignement à distance pour tous et en tout temps n’a pas fait ses preuves, du moins au primaire et au secondaire. On craint des retards d’apprentissage chez les élèves, notamment chez les plus vulnérables ».

 

Source de l’image: Shutterstock

D’entrée de jeu, nous précisons que sur le strict plan des valeurs éducatives, nous ne souscrivons pas à un enseignement à distance de masse et à temps plein. Néanmoins, il nous semble important de tempérer des propos qui sont présentés comme une vérité presque absolue et incontestable, alors que les résultats et les limites des études relatées méritent un traitement bien plus nuancé. Il importe aussi de soulever l’incohérence qu’il y a à juger la réussite de systèmes éducatifs sur la seule base d’un format (en présence, à distance, hybride ou comodal).

Une définition lacunaire de l’enseignement à distance

Les propos du Détecteur de rumeurs veulent s’appuyer sur des résultats valides et fiables. Si le nombre de participants sur qui portent les travaux cités est impressionnant, on révèle peu, voire pas d’informations permettant de comprendre comment s’est déroulé l’enseignement à distance qu’on évalue, sinon que les élèves étaient… strictement à distance. Or, le format est une mesure vraisemblablement peu représentative du contexte réel dans lequel l’apprentissage se déroulait.

En effet, nombre de facteurs autres que le format entrent en jeu dans la mise en œuvre d’un environnement favorable à l’apprentissage. Pensons seulement aux caractéristiques des apprenants; aux conceptions de l’apprentissage promues par les enseignants; à la nature des objectifs d’apprentissage poursuivis; aux approches pédagogiques et didactiques retenues; aux technologies choisies ou disponibles; au type d’accompagnement offert; à la taille des groupes; aux conditions organisationnelles susceptibles d’influencer les choix des intervenants du milieu scolaire…

En ramenant l’analyse à un principal élément ‒ le format ‒, on fait preuve d’un réductionnisme qui passe à la trappe une variété de façons de faire l’enseignement à distance, diversité à partir de laquelle on pourrait dégager des déclinaisons plus, ou moins, pertinentes que d’autres.

Ces variantes permettraient de mieux comprendre, par exemple, de potentielles distinctions entre les pratiques de l’école privée et publique, entre celles du milieu urbain et rural, tout en mettant en relief des facteurs socioéconomiques cruciaux dans une perspective d’atténuation des inégalités (Barma, 2021). Elles pourraient aussi fournir de nouvelles pistes de recherche, aiguiller les praticiens des milieux scolaires, orienter la formation des enseignants, etc.

Précisons que les auteurs d’une récente méta-analyse de deuxième niveau (Martin et al., 2022), un type de recherche qui réexamine des méta-analyses, mettent en évidence la même limite, que certains d’entre nous avaient déjà soulevée il y a un an (Allaire et coll., 2021) :

One observation across the first-order meta-analyses examined was a limited number accounting for the different affordances and other pedagogical characteristics of distance learning and online learning environments (e.g., synchronous versus asynchronous). Consequently, we encourage future authors to account for these subtle but important differences in future meta-analytic works, which can have implications for both research and practice. (p.13)

La superficialité définitionnelle dont témoigne le texte du Détecteur de rumeurs néglige donc la complexité des situations éducatives et la particularité de leur contexte. Par exemple, une portion du texte suggère une relation causale entre l’enseignement à distance et les retards scolaires, alors qu’on y amalgame la pandémie, sans toutefois considérer que les retards en question puissent être influencés par des éléments comme l’anxiété relative à la maladie, le stress familial, la réduction des contacts sociaux, les défis professionnels considérables que plusieurs enseignants ont dû surmonter, etc.

La polysémie du concept de réussite à l’école

Comment définit-on la réussite? Le concept peut revêtir plusieurs acceptions, et il est important de considérer celle retenue lorsqu’on interprète des résultats de recherche en éducation. S’agit-il de s’améliorer par rapport à soi? D’être meilleur qu’autrui? De cumuler suffisamment de points pour atteindre un seuil? Est-il question de fournir des traces qualitatives par rapport à : la mobilisation des connaissances dans une gamme de situations réelles; la capacité à résoudre des problèmes simples ou complexes; l’amélioration de la compréhension; l’agentivité contribuant positivement aux dynamiques sociales, économiques et environnementales, etc.? Ce qui précède est-il mené en solo, en équipe ou dans une combinaison des deux?

Comment définit-on la réussite?

Les études retenues pour produire le texte du Détecteur de rumeurs conçoivent essentiellement la réussite comme une performance à un examen standardisé dont on sait peu sur les objets évalués ni sur la façon de mener l’évaluation. L’intention ici n’est pas de commenter ce choix, bien qu’on sache que le rôle de l’école consiste à favoriser la réussite éducative, laquelle dépasse la simple réussite à un examen. Nous voulons surtout rappeler que la façon de mesurer un concept a des répercussions sur la nature des résultats obtenus.

Dans la même méta-analyse de deuxième niveau de Martin, Sun, Westine et Ritzhaupt (2022), la réussite a été conceptualisée selon trois dimensions : cognitive, affective et comportementale. La dimension socioculturelle inhérente à l’apprentissage n’est cependant pas prise en compte. Encore ici, les résultats obtenus sont différents et plus nuancés que ceux présentés dans le texte du Détecteur de rumeurs :

When comparing the three outcomes overall, distance learning had a significantly positive small effect in comparison with face-to-face learning for cognitive outcomes. Distance learning had a statistically significantly higher effect on cognitive outcomes than on affective outcomes. However, there were no statistically significant differences between cognitive outcomes and behavioral outcomes in effect size estimates or affective and behavioral outcomes. (p.11)

La citation se résume en disant que lorsqu’on regroupe les trois dimensions, l’enseignement à distance a obtenu un léger effet positif par rapport à l’enseignement en présence. En outre, lorsqu’on compare les dimensions, une différence a été tantôt remarquée, tantôt non.

Pour conclure, à la question posée par le Détecteur de rumeurs, il nous semble que la réponse soit plutôt : Cela dépend.

L’éducation met en jeu des systèmes d’activité humaine dont les éléments ne peuvent être manipulés telles des substances en éprouvette. Ainsi est-il périlleux de chercher à en dégager des vérités absolues et définitives, surtout concernant des énoncés simples et sensationnels. La circonspection nous semble de mise et, surtout, mieux correspondre à l’esprit de prudence et d’amélioration continue qui fonde l’activité scientifique. Après tout, si l’on est capable d’apporter certains bémols au vaccin contre la malaria[1], ne devrions-nous pas en faire tout autant à propos de sujets qui concernent l’éducation? N’y a-t-il pas une place en science pour un regard qualitatif qui apporte une finesse à la compréhension des situations et des phénomènes?

Références

Allaire, S., Tremblay, M. et 51 cosignataires. (2021). La boîte noire de l’école virtuelle. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/594353/enseignement-la-boite-noire-de-l-ecole-virtuelle

Barma, S. (2021). Repenser l’espace public pour contrer les inégalités et les iniquités face au numérique. État du Québec 2022. Institut du Nouveau Monde.

Martin, F., Sun, T., Westine, C. D. et Ritzhaupt, A. D. (2022). Examining research on the impact of distance and online learning: A second-order meta-analysis study. Educational Research Review, 36, 1-17.

 

[1] https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/detecteur-rumeurs/2022/03/04/enseignement-distance-primaire-secondaire-peut-nuire

 

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