Faire preuve de jugement évaluatif, un défi à relever en toute humilité

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Mis à jour le 17 Jan 2023

Pour certains professeurs du niveau collégial, la posture à adopter lors des évaluations constitue un réel défi. Un défi qu’il faut souvent aborder en toute humilité, notamment lorsqu’il est question de l’approche par compétences et de ses angles interprétatifs. Il semblerait, en effet, que la partie la plus difficile de l’évaluation des apprentissages, dans ce contexte, demeure l’interprétation des rendus présentés par l’étudiant et l’attribution d’une valeur cohérente en lien avec les compétences à atteindre (Chaumont et Leroux, 2018).

Jugement évaluatif

Source de l’image: Shutterstock

L’article de Chaumont et Leroux (2018) publié dans la revue Pédagogie collégiale témoigne de cette difficulté, souvent tabou, de l’évaluation, que représentent le jugement évaluatif et les possibilités de biais cognitifs qui y sont directement liées. Pour statuer sur l’atteinte d’une compétence, le professeur se trouve nécessairement confronté à la gestion de la subjectivité, laquelle émerge du jugement interprétatif. Cette gestion doit être effectuée avec soin tout au long de la session d’apprentissage puisqu’il s’agit, initialement, de juger systématiquement de la valeur de chacune des manifestions ou des preuves recueillies au fur et à mesure des apprentissages (Scallon, 2004 dans Chaumont et Leroux, 2018).

Le degré de subjectivité où se situera le jugement évaluatif d’un professeur et les biais cognitifs qui se manifesteront dans l’exercice de ce jugement varieront selon la manière dont ce professeur percevra son rôle dans le processus de l’évaluation des apprentissages.(Chaumont et Leroux, 2018, p. 30)

Quelques mots sur le jugement évaluatif

Le jugement évaluatif a d’abord un caractère euristique puisqu’il comprend une démarche d’exploration et un aspect contextuel. Il se conceptualise et s’intègre dans un réseau de communication au cœur d’un contexte social et institutionnel. Il semble que les attentes diffèrent selon la discipline à laquelle appartiennent les professeurs. Certains pièges subjectifs peuvent donc apparaître et entraîner des problèmes de validité et de justesse dans le jugement évaluatif si le professeur n’a pas les outils adéquats pour adopter une pratique réflexive.

La spécificité de l’approche par compétences

Les orientations de l’approche par compétences font appel à des tâches authentiques qui demandent à l’étudiant la réalisation de productions concrètes. En cela, il n’est plus question d’apprécier des connaissances, morcelées et décontextualisées par une série d’évaluations, et de calculer les résultats de façon arithmétique. Il s’agit davantage de mesurer le niveau de développement ou la maîtrise des compétences visées par le programme d’études (Chaumont et Leroux, 2018). Cette structure suppose donc une refonte complète des pratiques pédagogiques, notamment des modes d’évaluation et d’encadrement des étudiants afin d’endosser une perspective d’accompagnement et de soutien des étudiants.

De la recherche de Chaumont (2015) se dégagent quatre postures distinctes que peut adopter le professeur dans sa démarche d’évaluation :

  • le contrôleur;
  • le pisteur-talonneur;
  • le conseiller;
  • le consultant.

POSTURE DE CONTRÔLEUR– Le professeur transmet le savoir de façon surtout magistrale et installe des procédures à tendance répétitive en donnant des exercices – Il mesure les réponses du produit fini – Il fournit une note et rend les verdicts – Il prépare des contrôles parfois plus complexes que les exercices – Il peut répartir les notes selon la logique de la courbe de Gauss – Il annote le produit de façon stéréotypée, généralisante ou laconique, sur un mode parfois véhément (ratures) – Il valorise les meilleures notes et tient le discours de l’effort, de la réussite et du dépassement de soi.

POSTURE DE PISTEUR-TALONNEUR – Le professeur découpe le savoir en unités d’enseignement, établit une progression en allant du simple au complexe et détermine des objectifs globaux, intermédiaires ou spécifiques – Il contrôle les connaissances préalables et antérieures lors d’évaluations diagnostiques – Il contrôle en continu les acquisitions des étudiants sur des cycles courts – Il organise la remédiation autour d’exercices et installe des entrainements dans l’apprentissage – Il possède une cartographie des erreurs et utilise un corrigé type – Il tient le discours de la répétition, de la révision, de l’effort et de la persévérance.

POSTURE DE CONSEILLER – Le professeur privilégie la situation d’apprentissage à la situation d’enseignement – Il utilise l’évaluation pour réguler l’apprentissage à l’aide de tâches complexes qui permettent la construction des compétences et qui placent les étudiants dans un processus d’appropriation des savoirs et d’établissement de liens entre les savoirs – Il valorise la résolution de problème, s’intéressant aux démarches et aux stratégies : il n’attend donc pas le produit final – Il négocie les critères d’évaluation avec la classe – Il incite à l’autoévaluation – Il considère l’erreur comme une information utilise à l’apprentissage et valorise les réussites – Il différencie le parcours de chacun des étudiants et individualise ses conseils – Il révise régulièrement sa pratique enseignante et évaluative

POSTURE DE CONSULTANT – Le professeur instaure une communauté d’apprentissage dans sa classe – Il stimule le questionnement chez les étudiants et privilégie l’écoute – Il tient compte des désirs, des craintes et des demandes des étudiants; il s’intéresse à leur relation au monde – Il s’intéresse aux savoirs antérieurs et vise à donner du sens aux apprentissages – Il partage l’accès à la réflexion, la sienne et celle des pairs – Il est soucieux de rester en retrait dans l’émergence du sens – Il réussit à mettre en oeuvre une conception de l’évaluation qui favorise les apprentissages, malgré les écueils de la tradition scolaire privilégiant les résultats et la compétitivité [1]

Les postures dites de contrôleur et de pisteur-talonneur entretiennent davantage une relation de dépendance et de contrôle; elles conduisent ainsi l’étudiant à maintenir une attitude sédentaire et passive devant l’évaluation de ses apprentissages. Par ailleurs, l’adoption d’une posture de conseiller ou de consultant suppose un accompagnement où la régulation et la rétroaction sont omniprésentes dans le but de soutenir le développement de la compétence de l’étudiant ainsi que de ses pairs.

Pour s’assurer de la réussite des étudiants, le professeur devrait idéalement mener l’évaluation des apprentissages dans une perspective d’accompagnement et de soutien. (Chaumont et Leroux, 2018, p. 30)

Conclusion

Bien que l’atteinte d’une certaine objectivité en évaluation soit souhaitable, elle demeure presque impossible (Gérard, 2002). Il est préférable d’appréhender d’emblée les possibles biais cognitifs souvent liés aux croyances et aux valeurs personnelles qui peuvent interférer dans la qualité de l’évaluation. De cette façon, le professeur privilégie la progression du développement des compétences et le bilan des apprentissages plutôt que la sanction et la sommation de résultats (Chaumont et Leroux, 2018). Au-delà des mots, pour arriver à faire valoir un jugement évaluatif juste et valide, il convient pour le professeur de prendre conscience de ses propres biais subjectifs et d’adopter, en toute humilité, une pratique réflexive le situant dans son rôle et dans ses postures dominantes. Le fait pour le professeur de prendre une posture de conseiller, de guide en effectuant des rétroactions constructives, fréquentes et en temps réel permet à l’étudiant de jouer un rôle actif dans ses apprentissages, ce que l’on souhaite voir émerger de l’approche par compétences.

Dans le cadre de la maîtrise en enseignement au collégial, au secteur PERFORMA de l’Université de Sherbrooke, une recherche qualitative et interprétative a été menée auprès de professeurs dans le but d’éclairer l’exercice du jugement lors des évaluations certificatives de compétences qui se développent sur plus d’un cours. Ces études de cas ont permis de documenter les pratiques évaluatives, desquelles se dégagent des portraits dont il est question dans cet article. (Chaumont, 2015)

Références

Chaumont, M. et Leroux, J. (2018). Le jugement évaluatif : subjectivité, biais cognitifs et postures du professeur. Pédagogie collégiale, 31(3), 27-33.

Chaumont, M. (2015) Documenter le jugement professionnel d’enseignantes et d’enseignants lors de l’évaluation certificative de compétences qui se développent sur plus d’un cours au collégial. https://savoirs.usherbrooke.ca/bitstream/handle/11143/8966/Chaumont_Marilyne_MEd_2015.pdf?sequence=1&isAllowed=y

Gérard, F.-M. (2013) L’évaluation au service de la régulation des apprentissages; enjeux, nécessités et difficultés. Revue française de linguistique appliquée, 18(1), 75–92.

Scallon, G. (2004). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Éditions du Renouveau Pédagogique inc.

[1] Jorro, A. (2000). L’enseignant et l’évaluation. Des gestes évaluatifs en question. De Boeck Université.

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