Les pratiques innovantes en éducation
À première vue, l’innovation semble une notion simple signifiant nouveauté et changement. Cependant, lorsque l’on recense les écrits de recherche ou les écrits professionnels sur l’innovation sociale – et en particulier sur l’innovation en éducation – nous sommes rapidement confrontés à sa complexité. Le texte qui suit présente les éléments théoriques entourant la notion de pratique innovante. Il aborde la notion de pratique, puis celle d’innovation. Suivent les caractéristiques de l’innovation, ses divers types et les étapes de son processus. En dernier lieu est abordée la question des pratiques exemplaires en lien avec les pratiques innovantes.
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La notion de pratique
Une pratique en éducation est un acte professionnel réalisé par l’enseignant, la direction d’un établissement ou un professionnel non enseignant. Legendre [16] définit la pratique comme un ensemble d’habiletés acquises par un individu ou par un groupe par l’exercice régulier d’une activité.
La notion d’innovation en éducation
Le terme innovation est généralement associé à la science et à la technologie. Le concept d’innovation, tel qu’on le connaît, s’est développé dans l’univers du progrès technologique. Mais l’innovation revêt aussi une dimension sociale et l’innovation en éducation en fait partie (Conseil supérieur de l’éducation [5]).
Dans différents pays européens, plusieurs termes sont synonymes d’innovation. En voici quelques-uns : ajustement, amélioration, développement, étude pilote, expérimentation, idées nouvelles concrétisées, modernisation, réforme, renouveau. Les mots réforme, développement et expérimentation sont les plus utilisés avec, ou à la place du mot innovation (Cros [13]). En éducation, il existe plusieurs expressions pour désigner l’innovation : innovation pédagogique, innovation en éducation, innovation scolaire, innovation en formation. Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) [5] privilégie innovation en éducation.
Les principales définitions de l’innovation en éducation s’inspirent de la définition d’Huberman [15], pour qui « une innovation est une amélioration mesurable délibérée, durable et peu susceptible de se produire fréquemment » (p.7). Huberman précise que l’innovation est une opération dont l’objectif est de faire installer, accepter et utiliser un changement donné. Une innovation doit durer, être largement utilisée et ne pas perdre ses caractères initiaux. Cros [10] mentionne que l’innovation résulte d’une intention et met en œuvre une ou des actions visant à changer ou modifier quelque chose (un état, une situation, une pratique, des méthodes, un fonctionnement), à partir d’un diagnostic d’insuffisance, d’inadaptation ou d’insatisfaction par rapport aux objectifs à atteindre, aux résultats, aux relations de travail.
De son côté, le CSÉ [5] nous indique que lorsqu’il s’agit de définir l’innovation en éducation, il faut tenir compte du fait que son but premier est la réussite de l’élève et que cette réussite doit toucher tous les aspects du développement de la personne. Il retient donc la définition suivante : « l’innovation en éducation est un processus délibéré de transformation des pratiques par l’introduction d’une nouveauté curriculaire, pédagogique ou organisationnelle qui fait l’objet d’une dissémination et qui vise l’amélioration durable de la réussite éducative des élèves ou des étudiants » (p. 26).
Ce qui caractérise l’innovation en éducation
Selon les divers auteurs recensés, l’innovation en éducation se caractérise principalement par les éléments suivants :
nouveauté – La nouveauté dans l’innovation se distingue de la novation ou de l’invention. À ce titre, Schon [21] affirme qu’un acte n’est novateur que s’il ajoute à la somme des inventions connues. Dans le cas contraire, il s’agit seulement d’un emprunt ou d’une diffusion plus large de l’acte initial. Il faut donc préciser que l’innovation n’est pas une invention. En effet, si l’invention est une véritable création et n’avait auparavant aucune existence où que ce soit, l’innovation est une nouveauté dans un contexte particulier, une nouveauté qui est relative au contexte (parfois, c’est une recombinaison de choses anciennes).
Ce qui est nouveau dans l’innovation, ce n’est donc pas l’objet en question, son contenu, mais essentiellement son introduction dans un milieu donné. C’est en quelque sorte l’assimilation d’objets transférés, importés, empruntés à d’autres lieux (Cros et Adamczewski [12], Cros [10], Béchard [2]). L’innovation est une idée, une pratique, un objet perçu comme nouveau par les membres d’un système (Rogers et Shoemaker [19]).
produit – Le produit dans l’innovation, c’est la substance à laquelle on attribue cette vertu novatrice. La plupart des auteurs considèrent généralement l’innovation comme un produit, une technologie nouvelle, un dispositif institutionnel, une méthode, un processus nouveau, etc. (CSÉ [5]).
changement et amélioration – Le processus de l’innovation se construit en opposition à des pratiques professionnelles considérées comme inopérantes et routinières. L’innovation a toujours été envisagée comme une action transgressive d’un individu ou d’un groupe permettant d’améliorer des situations insatisfaisantes ou, du moins, de résoudre des problèmes. Cependant, l’innovation est autre chose qu’une simple résolution de problème, elle contient en elle-même des germes de créativité et d’originalité (Cros [8]).
Par des actions volontaires, intentionnelles et délibérées, l’innovation vise à induire un changement positif, une amélioration. Elle veut le bien, le meilleur pour l’élève. Ce qui implique un changement de comportement, d’attitudes, d’approches de pensée. (Béchard [2] et Cros [13])
Cette innovation est de l’ordre de la créativité, de l’inventivité, de l’initiative par le renouvellement des méthodes, de l’organisation ou des contenus (Cros [9]). Il peut y avoir quelques astuces supplémentaires, quelques arrangements ingénieux dans l’action innovante, mais ce qui la caractérise c’est le fait de faire autrement afin d’améliorer ce qui existe. Ceci implique l’introduction d’un mieux-savoir, d’un mieux-faire et d’un mieux-être. On est ici au niveau de la connaissance opérationnelle, de l’art utile, d’une réponse à des attentes d’efficacité, de rentabilité (Cros et Adamczewski [12]).
De son côté, Huberman [15] parle des motivations créatrices de l’innovation, celle-ci étant entendue comme une volonté délibérée de changer les coutumes, de réduire l’écart entre les objectifs du système et les pratiques en vigueur, de redéfinir les problèmes, de reconnaître les nouveaux problèmes et de créer de nouvelles méthodes pour les résoudre.
durabilité et transférabilité – L’innovation doit aussi être durable, il ne doit pas s’agir d’une action isolée et éphémère. Elle doit sous-entendre une appropriation et une utilisation dépassant l’individu qui l’a créée ou implantée. Bref, l’innovation ne doit pas rester une action localisée. Il faut qu’elle s’affirme comme un processus durable (CSÉ [5]).
Le renouveau pédagogique, dont l’implantation dans les écoles québécoises s’opère progressivement depuis 2000, s’inscrit dans cette volonté de changement durable (MELS [17]). Une opération de cette envergure requiert une certaine maîtrise du changement (CSÉ [7]). Pour le CSE, cette maîtrise repose sur une convention des finalités, la gestion du processus de changement, l’adaptation à un environnement en mutation ; pour cela, il faut « avoir suffisamment de maturité pour orienter sa destinée et provoquer les adaptations qui apparaissent nécessaires. » (p. 24)
L’avènement des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC) transgresse en partie le critère de durabilité. Si la révolution numérique est empreinte de permanence et constitue l’un des grands vecteurs de mutation en éducation, les moyens qui en émergent se succèdent à un rythme qui ne permet de colliger que des données contextuelles (OCDE [18]). Malgré l’incapacité de la recherche à démontrer l’effet favorable des NTIC sur les résultats scolaires, certaines tendances positives se dégagent : augmentation de la motivation des élèves, plus grand degré de contrôle par les apprenants, situations d’apprentissage plus réalistes et authentiques, etc. (CSÉ [6]).
Divers types de pratiques innovantes selon les rôles des acteurs
Quand on parle d’innovation en éducation, on parle en fait d’un enseignant, d’un professionnel, d’un administrateur, voire de toute une école, qui mettent en pratique un concept, une attitude ou un instrument quantitativement et qualitativement différent de ceux qui avaient cours auparavant. Le nouveau produit est rendu disponible et diffusé dans le système tout en étant intégré aux autres pratiques (Huberman [15]).
Dans le cadre du Réseau d’information sur la réussite éducative (RIRE), nous nous intéressons aux pratiques innovantes pour les enseignants, les professionnels et les administrateurs d’un établissement scolaire.
Pratiques innovantes pour les enseignants – On touche ici aux pratiques d’enseignement (ou pratiques enseignantes), que Legendre [16] définit comme l’ensemble des activités de l’enseignant orientées par ses savoirs et compétences propres, ainsi que par les fins et normes de sa profession, et mises en œuvre dans un milieu pédagogique particulier. On touche également aux pratiques pédagogiques, qui concernent l’une ou l’autre ou l’ensemble des relations au sein d’une situation pédagogique. Kazadi [4] précise que ces pratiques concernent l’art de conduire ou de faire la classe, ce qui relève de l’organisation et de la signification du travail, ou encore du domaine de la gestion de classe. Quant aux pratiques didactiques innovantes, elles concernent l’art ou la manière d’enseigner les notions propres à chaque discipline (Kazadi [4]).
Pratiques innovantes pour les professionnels – Ici on s’intéresse aux pratiques innovantes en milieu scolaire pour les professionnels de l’éducation (conseillers pédagogiques, psychoéducateurs et éducateurs spécialisés, psychologues scolaires, orthopédagogues, conseillers en orientation, travailleurs sociaux). Ces pratiques prennent des formes très diverses selon la profession : approches d’intervention, nouvelles méthodes, programmes innovateurs, etc.
Pratiques innovantes pour les administrateurs – Ces pratiques sont définies comme l’ensemble des façons de faire associées à la mise en œuvre des politiques, des règles et des procédures (Legendre [16]). Elles touchent plusieurs sphères de l’activité de gestion d’un établissement. Ces innovations peuvent concerner les changements dans le matériel scolaire (salle de classe, multimédia, nouveaux livres, etc.) ; les changements conceptuels portant sur les programmes et les méthodes de l’enseignement ; les changements dans les relations interpersonnelles, dans les rôles et les relations réciproques des différents acteurs du milieu.
Les étapes dans le processus d’innovation
Sur le plan du processus, l’innovation peut se réaliser en trois phases, d’après Brodin [3] : l’expérimentation pilote, les adaptations aux réalités du terrain et l’institutionnalisation ou généralisation. En se référant au modèle d’Alter [1], ces phases peuvent se traduire comme suit : 1) l’innovation est la traduction sociale d’une invention, première phase au point de départ du processus ; l’invention peut émerger de la base, provenir de l’extérieur ou être imposée par une autorité ; 2) la phase de l’appropriation se caractérise par une transformation, la construction d’un sens nouveau, une contextualisation, un transfert de l’invention entre les acteurs ; 3) l’institutionnalisation réduit l’incertitude et intègre les pratiques innovatrices dans les règles de l’organisation.
Enfin, l’art de l’innovation consiste à adapter puis à faire adopter des réalités inventées, découvertes ou crées antérieurement. L’innovateur fait figure de passeur, de traducteur, il adapte et traduit la nouveauté pure en nouveauté recevable et applicable, en assure la promotion et la diffusion (Cros et Adamczewski [12]).
De la pratique innovante à la pratique exemplaire
Nous utilisons ici l’expression pratique exemplaire comme équivalant à l’expression anglaise best practice, qui réfère à une pratique professionnelle efficace, généralisable et qui s’appuie sur des résultats de recherche. Cette pratique peut avoir les caractéristiques d’une pratique innovante. Le CSÉ [5] établit un lien étroit entre l’innovation en éducation et l’interface entre la recherche en éducation et les pratiques éducatives.
Pour qu’une pratique innovante devienne une pratique exemplaire, elle doit être en lien avec la recherche et faire l’objet d’une évaluation tant au niveau de son processus que de ses effets. Deux situations peuvent être à l’origine d’une pratique innovante et exemplaire :
De la pratique à la recherche – L’innovation pédagogique peut surgir de la pratique. C’est notamment le cas lorsqu’un enseignant rompt avec les méthodes pédagogiques traditionnelles, expérimente de nouvelles façons d’enseigner et permet à d’autres enseignants d’en bénéficier (CSÉ [5]). Pour que cette nouvelle pratique devienne une pratique exemplaire, il faut y associer le processus de recherche et d’évaluation. L’innovateur praticien s’associe avec un chercheur afin d’appuyer cette nouvelle pratique par la théorisation, la vérification de ses effets et les conditions de généralisation.
De la recherche à la pratique – L’innovation peut également émerger des résultats des recherches. C’est ce qui arrive lorsque des enseignants s’inspirent des résultats de la recherche pour modifier leurs pratiques. C’est ici le cas classique du transfert de connaissances. L’innovateur praticien s’associe avec un chercheur afin de raffiner cette pratique innovante. Ainsi, le rapprochement des univers de la recherche et de la pratique éducative peut, lui aussi, favoriser l’émergence de meilleures méthodes et, du même coup, stimuler l’innovation en éducation.
La capacité à innover suppose sans aucun doute la maîtrise des situations acquises, avec ce que cela implique de savoirs savants et de savoirs d’expérience, mais elle suppose tout autant un état d’esprit créatif et imaginatif. La formation à cet état d’esprit passe avant tout par le sens de l’initiative, par une réflexion sur la pratique, éclairée à la fois par l’expérience des autres professionnels et par la référence aux théories disponibles (Cros [9] et CSÉ [5]).
Références
[1] Alter (2000). Cité par Cros (2007). L’agir innovationnel. Entre créativité et formation. De Boeck.
[2] Béchard, (2001). Cité par le CSÉ, 2006 p. 25.
[3] Brodin, É. (date non disponible). Innovation en éducation et innovation dans l’enseignement des langues : quels invariants ? (Document inédit. Université Paris 3. France.
[4] Corneille Kazadi (2006). « Les approches innovantes dans les manuels de mathématiques », Dans Loiselle, J., Lafortune, L. et Rousseau, N. *(2006). L’innovation en formation à l’enseignement. Presse de l’Université du Québec (Québec)
[5] Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (2006). Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation (2004-2005). Le dialogue entre la recherche et la pratique en éducation : une clé pour la réussite. Québec.
[6] Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (2000). Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation (1999-2000). Éducation et nouvelles technologies : Pour une intégration réussie dans l’enseignement et l’apprentissage. Québec.
[7] Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (1995). Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation (1994-1995). La maîtrise du changement en éducation. Québec.
[8] Cros, F. (2007). L’agir innovationnel. Entre créativité et formation. De Boeck.
[9] Cros, F. (26 mars 2002-2). Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire. Rapport d’étape au ministre de l’éducation nationale.
[10] Cros, F. (novembre 2001-1). L’innovation scolaire (Enseignants et Chercheurs – Synthèse et mise en débat – INRP).
[11] Cros, F. (2001). Politiques de changement et pratiques de changement. Paris : INRP.
[12] Cros, F. et Adamczewski, G. (1996) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Guérin, Montréal. 3e édition.
[13] Cros, F. (date non disponible). Innovation en éducation et en formation. Sens et usage du mot. Rapport final. INNOVA. Observatoire européen des innovations en éducation. Document inédit.
[14] Génelot, D. (1992). Gérer dans la complexité. Paris : Insep éditions.
[15] Huberman, A.M. (1973). Comment s’opèrent les changements en éducation : contribution à l’étude le l’innovation. Expérience et innovation en éducation no. 4. Unesco : BIE.
[16] Legendre, R. (2005). Dictionnaire de l’éducation. Guérin, Montréal. 3e édition.
[17] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) (2005). Le renouveau pédagogique : Ce qui définit « le changement ». Québec.
[18] Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2008). Les grandes mutations qui transforment l’éducation. Paris.
[19] Rogers, E. et Shoemaker, F.F. (1971). Dans Savoie-Zajc, L. (1993) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Guérin, Montréal. 3e édition.
[20] Savoie-Zajc, L. (1993) cité dans Legendre, R. (2005) Dictionnaire de l’éducation. Guérin, Montréal. 3e édition
[21] Schon (1967 cité par Huberman, 1973). Comment s’opèrent les changements en éducation : contribution à l’étude le l’innovation. Expérience et innovation en éducation no. 4. Unesco : BIE.
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