Comprendre et surmonter les stéréotypes en mathématiques et en français
Comprendre et surmonter les stéréotypes en mathématiques et en français
Olivier étudie sans enthousiasme en vue de son examen de français. Dans son for intérieur, il se dit que comme pour la plupart des garçons, le français n’est pas sa force. Après tout, le français est « une matière de filles » alors que les garçons sont meilleurs en mathématiques, croit-il. Par conséquent, Olivier n’est pas très motivé ni intéressé par le français et il se met à rêvasser durant la préparation de son examen plutôt que de s’y investir pleinement. Le lendemain, son examen de français n’est pas un succès…
Cet exemple illustre bien la nature de stéréotypes de genre, répandus dans les sociétés occidentales, qui véhiculent que les garçons sont naturellement plus doués que les filles en mathématiques alors que les filles possèdent de meilleures capacités langagières que les garçons1. Mais un tel exemple reflète-t-il les croyances des élèves québécois quant à la compétence des garçons et des filles en mathématiques et en français? De telles conceptions peuvent-elles effectivement prédire le rendement des élèves dans ces matières ou leurs intentions de carrière?
Afin de répondre à ces questions, nous avons mené une étude qui comportait deux objectifs principaux :
- évaluer la nature et la force des stéréotypes de genre en mathématiques et en français des élèves québécois;
- examiner les liens entre les stéréotypes de genre des élèves, leur motivation scolaire (sentiment de compétence et valeur), leur rendement et leurs intentions professionnelles.
Pour ce faire, 1138 élèves de 6e année du primaire, de 2e ou de 4e secondaire issus de milieux socioéconomiques défavorisés ont répondu à un questionnaire évaluant leurs stéréotypes en mathématiques et en français2, leur motivation à l’égard de ces disciplines scolaires (sentiment de compétence et valeur), ainsi que leur intention de poursuivre une carrière relative aux mathématiques ou aux langues. À la fin de l’année scolaire, les établissements scolaires nous ont fait parvenir le rendement moyen des élèves en mathématiques et en français, tel qu’inscrit dans leur relevé de notes.
Le présent article résume les principaux résultats de notre étude. Puis, sur la base des conclusions de notre recherche, des pistes d’intervention visant à réduire la portée négative des stéréotypes des élèves sur leur réussite et leur cheminement scolaire sont proposées.
L’adhésion des élèves québécois aux stéréotypes
Nos résultats ont montré que les stéréotypes traditionnels qui avantagent les garçons en mathématiques semblent s’être inversés. En effet, les garçons de 2e et de 4e secondaire tendent à penser que les filles sont plus douées que les garçons en mathématiques. Seuls les garçons de 6e année adhèrent à des stéréotypes traditionnels favorisant les garçons en mathématiques. En revanche, les filles des trois niveaux scolaires entretiennent des stéréotypes pro-filles en mathématiques.
Dans le domaine du français, les élèves des deux sexes de notre échantillon se sont montrés fortement en accord avec la croyance selon laquelle le français est une discipline à caractère plus féminin que masculin3.
Les liens entre les stéréotypes des élèves, leur motivation, leurs intentions professionnelles et leur rendement
Nous avons ensuite examiné les liens qui unissent les stéréotypes des élèves, leur motivation (sentiment de compétence et valeur), leur rendement et leur intention de poursuivre une carrière relative aux mathématiques ou aux langues.
Nos résultats ont révélé que le sentiment de compétence et la valeur attribuée aux mathématiques et au français agissent comme médiateurs de la relation entre les stéréotypes des élèves et les indicateurs de réussite retenus5. Ainsi, les stéréotypes prédisent les variables motivationnelles des élèves, qui en retour, sont liées à leur rendement et à leurs intentions professionnelles.
En reprenant l’exemple d’Olivier décrit précédemment, nos résultats suggèrent que ce n’est pas tant le fait que cet élève entretienne des stéréotypes en faveur d’un sexe ou de l’autre qui prédit son rendement ou ses intentions de carrière. C’est plutôt le fait qu’il se serve de ses stéréotypes comme base pour définir son propre sentiment de compétence et la valeur qu’il attribue aux disciplines scolaires qui affectera sa réussite scolaire et ses choix de carrière.
Comment les enseignants peuvent-ils agir sur les stéréotypes?
À la lumière de nos résultats, l’intervention visant à limiter les retombées négatives des stéréotypes sur la réussite et les intentions professionnelles des élèves apparaît primordiale. Pour ce faire, nous proposons trois pistes d’intervention adaptées au contexte scolaire.
1. Prévenir l’intériorisation des stéréotypes
Puisque les stéréotypes des élèves sont principalement reliés à leur réussite lorsqu’ils s’en servent comme base de leur motivation, une avenue pertinente consiste à contrer la tendance des élèves à intérioriser les stéréotypes. Ainsi, les enseignants peuvent promouvoir l’idée qu’en dépit de stéréotypes à propos de la compétence accrue des garçons ou des filles en mathématiques et en français, ces stéréotypes ne s’appliquent pas nécessairement sur une base individuelle. Pour ce faire, les enseignants peuvent inciter les élèves à prendre conscience de leurs forces personnelles, leurs intérêts et leurs limites à l’égard des différentes disciplines et des tâches scolaires. Une telle prise de conscience est susceptible de favoriser le développement du plein potentiel des élèves, et ce, peu importe les stéréotypes sociaux véhiculés.
2. Réduire la prégnance des stéréotypes
Évidemment, amener les élèves à entretenir des conceptions neutres ou qui tiennent compte des différences individuelles plutôt que de l’appartenance à un groupe est hautement souhaitable. Ainsi, les enseignants, qui sont des modèles importants pour les élèves6, peuvent mentionner ouvertement aux élèves que les différentes matières scolaires conviennent, à priori, tout aussi bien aux garçons qu’aux filles. Parallèlement, les enseignants peuvent agir sur les stéréotypes des élèves en les incitant à attribuer leurs succès à des sources internes sur lesquelles ils exercent du contrôle, telles l’effort ou des stratégies d’apprentissage efficaces, plutôt que sur des sources externes incontrôlables, telles la chance et les stéréotypes répandus. En outre, l’attribution du succès à une source interne et contrôlable accroît l’engagement et la persévérance dans les tâches scolaires et favorise la réussite scolaire7.
3. Valoriser la réussite des garçons en français
Considérant la saillance des stéréotypes avantageant les filles en français, réduire la portée négative de ces stéréotypes sur la réussite des garçons dans cette discipline apparaît primordial. Pour ce faire, présenter aux élèves différents modèles masculins œuvrant dans les disciplines liées au français constitue une avenue pertinente. Malgré la force des stéréotypes véhiculant que les filles sont plus douées que les garçons en français, la représentation masculine dans divers corps de métier qui sont directement en lien avec le français, tels le journalisme ou les auteurs de bandes dessinées, est frappante.
Une seconde piste d’intervention pour favoriser l’engagement des garçons en français, sans laisser pour compte les filles, consiste à leur proposer des activités de lecture et d’écriture signifiantes. À cet effet, proposer des activités ou des projets que les élèves trouvent utiles et qui ont un sens pour eux est susceptible de susciter leur engagement dans les tâches scolaires relatives au français. Par exemple, suggérer à des élèves du secondaire de préparer un curriculum vitae accompagné d’une lettre de présentation en vue d’un emploi pour la saison estivale qu’ils auront eux-mêmes identifié est susceptible d’améliorer leur perception de l’utilité des contenus de français à mettre en œuvre.
Conclusion
En somme, notre étude nous a permis de constater qu’hormis les garçons de 6e année du primaire, les élèves n’entretiennent plus de stéréotypes traditionnels en mathématiques à l’effet que les garçons sont plus doués que les filles dans cette discipline. En fait, un stéréotype inverse favorisant les filles en mathématiques semble même émerger. Par ailleurs, les élèves québécois du primaire et du secondaire entretiennent généralement des stéréotypes qui favorisent clairement les filles en français. Nos résultats ont également révélé que ces stéréotypes prédisent principalement la réussite et le cheminement scolaire des élèves lorsque ces derniers les intègrent à travers leur motivation en mathématiques et en français. Les suggestions proposées dans le cadre de cet article constituent des pistes d’intervention concrètes en vue de limiter la portée négative des stéréotypes sur la réussite scolaire et les intentions professionnelles des élèves.
Notes
1 Aronson & Steele, 2005; Plante, Théorêt & Favreau, 2010
2 Plante, 2010
3 Plante, Théorêt & Favreau, 2009
4 Plante, 2010
5 Plante, de la Sablonnière & Théorêt, en préparation
6 Aronson & Steele, 2005
7 Stipek, 2002
Références bibliographiques
Aronson, J. & Steele, C. M. (2005) Stereotypes and the fragility of academic competence, motivation and self-concept. In: Elliot, A. J. & Dweck, C. S. (Eds.) Handbook of competence and motivation (pp. 436-456). New York, NY: Guilford.
Plante, I. (2010). Adaptation et validation d’instruments de mesure des stéréotypes de genre en mathématiques et en français. Mesure et Évaluation en Éducation, 33(2), 1-34 (en ligne).
Plante, I., Théorêt, M. & Favreau, O. E. (2010). Les stéréotypes de genre en mathématiques et en langues : recension critique en regard de la réussite scolaire. Revue des Sciences de l’Éducation, 36(2), 389-419 (en ligne).
Plante, I., Théorêt, M. & Favreau, O. E. (2009). Student gender stereotypes: Contrasting the perceived maleness and femaleness of mathematics and language. Educational Psychology, 29(4), 385-405 (en ligne).
Plante, I., de la Sablonnière, R. & Théorêt, M. (en préparation). Competence beliefs and task-values mediate the relation between academic gender stereotypes and achievement outcomes.
Stipek, D. J. (2002). Motivation to learn: integrating theory and practice. Boston, MA: Allyn and Bacon.
Note : Cette étude a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil de Recherche en Sciences Humaines (CRSH).
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