Les « classes sans notes » : vers une évaluation au service des apprentissages
En France, il y a quelques années, on a commencé à remettre en question la notation des élèves : est-elle fiable, fidèle et équitable? On a également souligné ses effets négatifs sur la motivation, l’estime de soi et le décrochage scolaire des élèves. La solution trouvée? L’expérimentation de « classes sans notes » dans une approche par compétences. Quelques années après le début d’une de ces expérimentations dans un collège français en sixième année puis en cinquième, Éric Saillot[1] (2019) a décidé d’y réaliser une recherche collaborative sur les préoccupations des enseignants par rapport à l’évaluation.
Certes, des préoccupations demeurent. Selon Saillot (2019), « passer d’un système d’évaluation sommative et certificative par notation à une approche formative et intégrée aux apprentissages par compétences nécessite beaucoup de temps pour les enseignants. La notation [étant] souvent confondue avec la notion d’évaluation » (p. 38). Plusieurs enseignants se retrouvent donc désorientés notamment à propos des observations, des activités et des évaluations à réaliser, à préparer et à valider. L’enjeu en lien avec l’évaluation des compétences selon le niveau des élèves est aussi une préoccupation pratique présentée.
La recherche de Saillot avait comme objectif la coconstruction « de nouvelles connaissances basées sur la compréhension qu’ont les praticiens des pratiques à l’intérieur desquelles ils évoluent » (Saillot, 2019, p. 42). Les conclusions de l’étude soutiennent sont que la capacité à vulgariser et à exprimer leurs préoccupations permet aux enseignants d’adapter plus facilement leurs pratiques évaluatives. Par ailleurs, la remise en question pratique et théorique de la notation a fait émerger le rôle fondamental de l’évaluation au cœur même de la « classe sans notes ». Comme quoi le concept de notation n’équivaut pas systématiquement au concept d’évaluation.
Qu’impliquent les « classes sans notes »?
« […] cette approche évaluative dans le milieu scolaire focalise le regard enseignant sur la mobilisation et la combinaison de ressources diverses dans des situations particulières.
Il s’agit de proposer aux élèves des tâches inédites et complexes, ce qui n’est pas sans difficulté pour les enseignants (Gérard, 2009; Rey, 2014; Scallon, 2007), notamment autour des questions de validité et de fiabilité. Genelot, Gardes, Mansanti et Pinsard (2016) précisent donc que les classes sans notes dépassent le simple changement d’échelle d’évaluation et orientent les enseignants vers d’autres objets d’évaluation.
[…] les classes sans notes sont un moyen pour permettre aux enseignants de changer leurs pratiques d’évaluation vers une approche plus formative dans un enseignement différencié (Allal, Cardinet et Perrenoud, 1978), c’est-à-dire des évaluations intégrées et au service des apprentissages (Mottier Lopez, 2015a). » (Saillot, 2019, p. 39)
L’étude de Saillot (2019) s’est déroulée en trois étapes complémentaires créant des espaces de discussion permis succincts qui ont permis de reconnaître six principales préoccupations chez les enseignants :
- les changements d’outils numériques (techniques);
- la communication des résultats des évaluations;
- la validation des compétences;
- les objets d’évaluation;
- la cohérence des situations d’apprentissage proposées aux élèves;
- la fonction des évaluations.
De l’étude de Saillot, deux tendances se dégagent chez les témoignages des enseignants. La première, une mise en relief d’une perspective réflexive au profit de l’évaluation par compétences en maintenant leurs pratiques d’enseignement. La deuxième, un changement radical de pratique enseignante afin de les orienter davantage vers une approche en lien avec les mises en situation ou les tâches complexes sollicitant des compétences singulières.
Saillot (2019) retient ceci des échanges collectifs :
- la découverte de la pertinence de l’évaluation formative comme complément à l’apprentissage;
- la confirmation que l’expérimentation formative est, en fait, un moyen de remettre en question la nature et la fonction de l’évaluation pédagogique permettant de faire évoluer les perspectives d’apprentissage des élèves : « évaluer pour mieux faire apprendre » (Rey et Feyfant, 2014 dans Saillot, 2019, p. 53).
Qu’implique la fonction formative de l’évaluation?
« L’approche formative de l’évaluation est basée sur une prise d’informations par l’enseignant afin de produire des régulations qui soutiennent l’enseignement et l’apprentissage (Allal et Mottier Lopez, 2005; Mottier Lopez, 2015a, 2015b; Mottier Lopez et Laveault, 2008). » (Saillot, 2019, p. 39)
« […], les enseignants cherchent [donc] à comprendre si les élèves apprennent et progressent afin d’ajuster leurs gestes professionnels (Bucheton, 2009; Saillot, 2020) et les prochaines situations d’apprentissage. » (Saillot, 2019, p. 53)
Conclusion
L’étude de Saillot a permis à certains enseignants de remettre en question leurs croyances et leurs connaissances en matière d’évaluation, ce qui demeure l’étape fondamentale (Figari, 2016) pour initier des changements de pratiques, notamment en évaluation.
Les résultats obtenus supposent qu’il est possible d’amener les enseignants à développer l’évaluation formative sans même la nommer dans l’optique d’optimiser l’évaluation de la progression des apprentissages dans l’expérimentation des compétences visées. Voilà des résultats qui ouvrent la voie à des pistes de réflexion quant aux méthodes d’évaluation traditionnelles systématiquement renouvelées.
Observera-t-on, un jour, des expérimentations de « classes sans notes » au Québec?
Références
Allal, L., Cardinet, J. et Perrenoud, P. (1978). L’évaluation formative dans un enseignement différencié. Peter Lang.
Allal, L. et Mottier Lopez, L. (2005). Formative assessment of learning: A review of publications in French. Dans Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD). Formative assessment: Improving learning in secondary classrooms (p. 241-264). OECD.
Bucheton, D. (dir.). (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Octarès.
Figari, G. (2016). Est-ce concevable d’apprendre à évaluer ? Éducation permanente, 3(208), 9-17.
Genelot, S., Gardes, D., Mansanti, J. et Pinsard, N. (2016). Évaluer par compétences ou évaluer sans noter? Éducation permanente, 3(208), 89-100.
Gérard, F.-M. (2009). Évaluer des compétences. De Boeck.
Mottier Lopez, L. (2015a). Évaluations formative et certificative des apprentissages : enjeux pour l’enseignement. De Boeck.
Mottier Lopez, L. (2015b). L’évaluation formative des apprentissages des élèves : entre innovations, échecs et possibles renouveaux par des recherches participatives. Questions vives : Recherches en éducation, 23.
Mottier Lopez, L. et Laveault, D. (2008). L’évaluation des apprentissages en contexte scolaire : développements, enjeux et controverses. Mesure et évaluation en éducation, 31(3), 5-34.
Rey, B. (2014). Compétences et évaluation en milieu scolaire : une relation complexe. Dans C. Dierendonck, E. Loarer et B. Rey (dir.), L’évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel (p. 25-34). De Boeck.
Rey, O. et Feyfant, A. (2014). Évaluer pour (mieux) faire apprendre. Dossier de veille de l’IFÉ, 94.
Saillot, É. (2020). S’ajuster au cœur de l’activité d’enseignement-apprentissage. Construire une posture d’ajustement. L’Harmattan. Collection « Pédagogie : crises, mémoires, repères ».
Scallon, G. (2007). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. De Boeck.
Ce texte est une vulgarisation de l’article scientifique suivant :
Saillot, É. (2019). Évaluation par compétences : les préoccupations des enseignants en matière d’évaluation au cours d’une expérimentation des « classes sans notes » dans un collège français. Mesure et évaluation en éducation, 42(2), 35-61.
[1] Université de Caen Normandie. Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation (CIRNEF).
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