Alors, on lit? La lecture interactive comme outil pour développer les prérequis à l’apprentissage de l’écrit

Lecture : 5 min.
Mis à jour le 18 Oct 2020

Temps approximatif de lecture : 3 à 4 minutes

Par :

Nathalie Thomas, Cécile Colin et Jacqueline Leybaert

Center for Research in Cognition and Neurosciences, Université libre de Bruxelles

Les enfants issus de milieux vulnérables présentent généralement de faibles prérequis à l’apprentissage de l’écrit (langage oral et compétences d’éveil à l’écrit). Or, ces compétences peuvent être stimulées en classe lors de séances de lecture interactive.

Cet article propose une synthèse des résultats d’une intervention en lecture interactive réalisée à Bruxelles (Belgique) auprès d’enfants issus de niveaux socio-économiques faibles et dont la langue maternelle est différente de celle parlée à l’école (Thomas, Colin et Leybaert, 2020).

Source de l’image : ShutterStock

Qu’est-ce que la lecture interactive?

La lecture interactive (LI) est définie comme une activité d’apprentissage collaborative au cours de laquelle les enfants sont invités à participer à la lecture d’un album jeunesse (Parkes, 2000; Remy et Leroy, 2016). La LI stimule plusieurs prérequis importants pour l’apprentissage de l’écrit : le plaisir de lire, le langage oral et l’éveil à l’écrit. Au cours de la lecture, l’adulte utilise différentes stratégies qui favorisent la prise de parole par les enfants : susciter des initiatives chez les enfants, encourager le tour de parole, reformuler, ajouter de l’information aux propos des enfants, faire des liens avec le vécu des enfants. Les bienfaits de la LI sont constatés depuis de nombreuses années.

Qui sont les enfants issus de milieux vulnérables?

En Europe, pour de nombreux enfants issus de l’immigration, la langue natale (c.-à-d. la première langue que l’enfant apprend) est en situation minoritaire à l’école.

Un consensus de terrain existe pour dire que les enfants scolarisés dans une langue différente de leur langue natale obtiennent des résultats scolaires plus faibles que leurs pairs qui parlent la langue de l’école à la maison.

Aussi, comme de nombreux enfants dont la langue natale est minoritaire habitent dans les quartiers les moins favorisés, ces familles ont tendance à se regrouper dans ces quartiers en communautés. Fréquenter une école dans ces quartiers de faible niveau socio-économique constitue un facteur de risque pour tous les enfants de cette école, bien plus que ne l’est le niveau socio-économique de la famille pris isolément.

Les études qui évaluent les effets de la lecture interactive sur le développement du langage et sur les compétences d’éveil à l’écrit de ces enfants à risque restent rares. Dans les capitales européennes, il s’agit pourtant d’une grande partie de la population.

La lecture interactive est-elle efficace pour les enfants issus de milieux vulnérables?

Dans le contexte de l’étude menée par Thomas, Colin et Leybaert, les enfants fréquentaient des écoles dont l’indice socio-économique était très faible et, pour plus de 70 % d’entre eux, leur langue natale n’était pas la langue parlée à l’école. En effet, on comptait plus de 30 langues et nationalités différentes.

L’étude concernait 285 enfants répartis en 19 classes. Onze classes (le groupe expérimental) ont bénéficié d’une intervention de dix semaines en lecture interactive, animée par leur enseignante habituelle, à raison de trois séances par semaine selon la procédure adaptée de Lefebvre, Trudeau et Sutton (2011). L’étude se voulait volontairement écologique (c.-à-d. en respectant l’organisation habituelle de la classe) afin que les enseignantes maîtrisent et généralisent l’utilisation de la lecture interactive dans leur pratique d’enseignement : sur la base d’un guide écrit, ce sont elles qui choisissaient les livres à lire à leurs élèves ainsi que les objectifs travaillés durant chaque séance. Les objectifs spécifiques, travaillés lors des lectures, ciblaient le vocabulaire (mots du livre), la compréhension du récit, la conscience phonologique et les conventions de l’écrit.

Par exemple, pour le livre Fergus est furieux de Robert Starling (Gallimard Jeunesse), la première séance consacrée aux explications pouvait ressembler à ceci :

  • Vocabulaire : Le verbe s’étirer. « S’étirer, cela veut dire étendre ses membres (ses bras, ses jambes) pour se dégourdir. C’est comme se détendre (ici, montrer l’image de Fergus et de son ami qui s’étirent). Dans cette histoire, Fergus et son ami s’étirent pour se détendre et se calmer, mais on peut aussi s’étirer quand on fait du sport, par exemple. »
  • Compréhension du récit (sentiments) : « Les amis de Fergus en ont assez (de ses colères) parce qu’il abîme tout en crachant du feu. Je pense que Fergus se sent triste et désolé de perdre son calme tout le temps (ici, montrer l’expression de tristesse de Fergus). »
  • Conscience phonologique : « J’écoute si deux mots commencent ou non par le même son (ou la même lettre). Dans ce texte, je lis les mots renard et réussi (ici, bien insister sur le premier son des mots). Oui, j’entends bien le même son au début de ces deux mots. »
  • Conventions de l’écrit : Au début du texte, je montre que c’est le texte que je vais lire, pas les images (ici, pointer le texte et les images).

Les autres classes (groupe contrôle) bénéficiaient de lectures « classiques ». Tous les enfants ont été évalués avant et après l’intervention par des tests de langage standardisés.

Bien qu’un « effet enseignant » puisse intervenir et que certains concepts du support écrit  aient pu être mal interprétés par les professeurs, les résultats sont intéressants. En effet, les évaluations réalisées après l’intervention montrent que les enfants qui ont bénéficié des séances de lecture interactive (groupe expérimental) obtiennent des résultats significativement meilleurs à la fin de l’intervention aux tests de langage (vocabulaire et morphosyntaxe) et d’éveil à l’écrit (conscience phonologique, connaissance des lettres et conventions de lecture) que les enfants du groupe contrôle. Les figures représentent le nombre de réponses correctes (RC) obtenues par les enfants du groupe expérimental (EXPE) et du groupe contrôle (CONT), pour chaque type d’évaluation, après l’intervention.

Ces résultats contribuent à la reconnaissance de la lecture interactive comme outil efficace pour les enfants « à risque » du préscolaire. Il s’agit d’une pratique facile à implémenter et peu coûteuse. Elle permet de donner à chaque enfant, quelle que soit son histoire, la chance d’entrer dans l’écrit avec davantage de facteurs de protection.

Références

Lefebvre, P., Trudeau, N. et Sutton, A. (2011). Enhancing vocabulary, print awareness and phonological awareness through shared storybook reading with low-income preschoolers. Journal of Early Childhood Literacy11(4), 453-479. doi : 10.1177/1468798411416581

Morgan, A. (2005). Shared reading interactions between mothers and pre-school children: Case studies of three dyads from a disadvantaged community. Journal of early childhood literacy5(3), 279-304. doi : 10.1177/1468798405058689

Nag, S., Vagh, S. B., Dulay, K. M. et Snowling, M. J. (2019). Home language, school language and children’s literacy attainments: A systematic review of evidence from low‐and middle‐income countries. Review of Education7(1), 91-150. doi : 10.1002/rev3.3130

Parkes, B. (2000). Read It Again! Revisiting Shared Reading. Stenhouse Publishers.

Rémy, P. et Leroy P.-M. (2016). Comment explorer l’album jeunesse? Editions Atzeo.

Snow, C. E., Burns, S. M. et Griffin, P. (1998). Predictors of success and failure in reading. Preventing reading difficulties in young children, 100-134. National Academy Press. USA : Washington, DC.

Thomas, N., Colin, C. et Leybaert, J. (2020). Interactive Reading to Improve Language and Emergent Literacy Skills of Preschool Children from Low Socioeconomic and Language-Minority Backgrounds. Early Childhood Education Journal, 1-12. doi : 10.1007/s10643-020-01022-y

Source de l’image : ShutterStock

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