Grandir dans un milieu bilingue favoriserait le développement des capacités attentionnelles.

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Mis à jour le 25 Fév 2019

Parler deux langues s’avère sans aucun doute un atout. Une étude publiée récemment dans la revue Developmental Science a entre autres montré que le fonctionnement cérébral des personnes bilingues est à la fois plus complexe et plus actif que celui des personnes unilingues. Les professeurs[1] de l’Université York à Toronto (Ontario) ayant réalisé cette étude en sont arrivés à la conclusion que les nourrissons exposés à plus d’une langue parlée à la maison développent un meilleur contrôle attentionnel que ceux qui grandissent dans un environnement unilingue, et cela dès l’âge de six mois.

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Est-ce une question d’intelligence? Non pas du tout, répondent les chercheurs. La cause de ces résultats se trouve du côté des fonctions exécutives. Lorsque deux langues et leurs règles spécifiques sont acquises, l’enfant doit intentionnellement passer d’un univers linguistique à un autre, ou jongler entre les modalités propres à chaque langue. Ces contraintes l’obligeraient à développer une meilleure inhibition et une plus grande flexibilité mentale.

 

L’exposition à des environnements bilingues devrait être considérée comme un facteur important dans le développement précoce de l’attention au cours de la petite enfance, et pourrait ouvrir la voie à des avantages cognitifs pour toute la vie.

[Traduction libre]

[Les effets du bilinguisme sur le cerveau]

Méthodologie de la recherche

La recherche menée par Bialystok, Adler et Comishen consistait plus particulièrement à mesurer les mouvements oculaires des bébés pour évaluer leur capacité d’attention et d’apprentissage. Pour ce faire, on a montré aux nourrissons des images alors qu’ils étaient allongés dans des lits équipés d’un appareil photo et d’un écran. Leurs mouvements oculaires ont été suivis et enregistrés pendant qu’ils regardaient ces images apparaître au-dessus d’eux, à différents endroits de l’écran. Cette opération a été effectuée 60 fois pour chaque nourrisson, et deux tests différents ont été réalisés à ce propos.

Le premier test consistait à faire apparaître au centre de l’écran que regardaient les nourrissons une image, suivie d’une autre image sur le côté soit gauche, soit droit de l’écran. Les bébés devaient intégrer l’information suivante : quand une image rose et blanche apparaît au centre de l’écran, elle est suivie d’une autre image attrayante qui paraît à gauche de l’écran; si l’image qui apparaît au centre de l’écran est bleue et jaune, alors l’image suivante paraît à droite de l’écran.

Pour le second test, les chercheurs ont changé la séquence d’apparition des images en plein milieu de l’expérience. Ils se sont alors rendu compte, en suivant les mouvements oculaires des bébés, que ceux qui vivaient dans un environnement bilingue étaient capables de prévoir plus rapidement si l’image apparaîtrait à gauche ou à droite de l’écran. Bien que cette adaptation, concernant le changement de séquence d’apparition des images, ait exigé beaucoup de ces tout-petits, cela ne les a pas empêchés de réussir le second test, et ce, nettement mieux que leurs pairs unilingues.

L’attention à la base de toute cognition

Bialystok affirme que la différence entre les personnes unilingues et bilingues, dans leur vie, ne réside pas dans les langues apprises, mais dans le système d’attention utilisé pour se concentrer sur la langue.

[Les avantages du bilinguisme : un résumé de l’état actuel des recherches]

Cette étude nous apprend que, dès le tout premier stade de développement, les réseaux qui sont à la base du développement de l’attention se forment différemment chez les nourrissons qui grandissent dans un milieu bilingue.

[Traduction libre]

L’un des coauteurs de l’étude, Scott Adler, ajoute que les nourrissons ne savent quel regard porter que s’ils peuvent distinguer les deux images qui apparaissent au centre de l’écran. C’est en effet de cette façon qu’ils finissent par anticiper l’image de droite, en faisant un mouvement des yeux avant même que cette image n’apparaisse sur l’écran. Comme cela est mentionné plus haut, les enfants de milieu bilingue ont été en mesure, lors du second test, de traiter les informations visuelles mieux que l’ont fait les enfants vivant dans un milieu unilingue.

Tout ce qui passe par le système de traitement de l’information chez l’être humain interagit avec les mécanismes de contrôle de l’attention. Par conséquent, le langage aussi bien que l’information visuelle peuvent influencer le développement du système attentionnel.

[Traduction libre]

[Le bilinguisme — Dossier thématique]

Certaines recherches antérieures ont permis de montrer que les enfants et les adultes bilingues se révèlent nettement supérieurs à leurs pairs unilingues dans certaines tâches cognitives qui exigent de changer de réponse ou de gérer un conflit. La raison de ces différences découlerait peut-être du besoin continu des bilingues de choisir, dans telle ou telle situation, la langue qu’ils doivent utiliser, parmi celles qu’ils connaissent. À propos de l’étude effectuée par Adler, Bialystok et Comishen dont il est question dans le présent article, voici ce qu’en dit Adler : « Ce qui est si novateur dans ces résultats, c’est qu’ils concernent des enfants qui ne sont pas encore bilingues et qui n’entendent que l’environnement bilingue. C’est ce qui a un impact sur le rendement cognitif. [traduction libre] ».

 

[Pour consulter l’article : www.eurekalert.org/pub_releases/2019-01/yu-bwh012919.php]

 

Références

Comishen, K. J., Bialystok, E. et Adler, S. A. (2019). The impact of bilingual environments on selective attention in infancy. Repéré à https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/desc.12797

Nacamulli, M. (2015). The benefits of a bilingual brain / Les avantages d’un cerveau bilingue (Vidéo). Repéré à www.youtube.com/watch?v=MMmOLN5zBLY&feature=youtu.be

Nayyar, A. (2019). Babies who hear two languages at home develop advantages in attention. Repéré dans le site EurekAlert! à www.eurekalert.org/pub_releases/2019-01/yu-bwh012919.php

Perriard, B. (2015). L’effet du bilinguisme sur la mémoire de travail : comparaisons avec des unilingues et étude du changement de langue dans des tâches d’empan complexe (Thèse de doctorat présentée à la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg, Suisse). Repéré à https://core.ac.uk/download/pdf/43670341.pdf

[1] La recherche a été menée par Ellen Bialystok, professeure émérite de psychologie et titulaire de la chaire de recherche Walter Gordon sur le développement cognitif tout au long de la vie à l’Université York, et Scott Adler, professeur agrégé au Département de psychologie de York et au Centre for Vision Research, ainsi que par Kyle J. Comishen, auteur principal et ancien étudiant à la maîtrise dans leur laboratoire.

 

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