La cyberintimidation : une cruauté virtuelle bien réelle

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Mis à jour le 17 Déc 2009

Source de l’image : Shutterstock Golubovy

Claire Beaumont, chercheuse et membre de l’Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l’école (OCPVE), fait dans cet article un tour d’horizon du phénomène de la cyberintimidation entre et à l’extérieur des murs de l’école. Ce texte fournit aux intervenants, aux enseignants et aux parents de l’information sur les moyens mis en œuvre par les cyberintimidateurs ainsi que sur le genre de mesures qui doivent être prises pour contrer cette forme insidieuse de violence.

La violence qui teinte les relations interpersonnelles des enfants et des adolescents n’est pas une préoccupation nouvelle. En milieu scolaire, on a reconnu l’intimidation comme étant la forme d’agression la plus néfaste, entraînant chez les victimes de graves répercussions sur les plans personnel, social et scolaire (dépression, faible estime de soi, retrait social, consommation, décrochage, suicide). Ce qui est une préoccupation nouvelle, c’est le fait que les jeunes utilisent aujourd’hui les technologies de l’information pour intimider leurs pairs, les rejoignant en dehors des limites de l’école, jusque dans l’intimidé de leur refuge familial.

Les générations précédentes ont grandi avec la télévision, avec Monsieur Surprise et plus tard avec Passe-Partout, alors qu’aujourd’hui les jeunes occupent leurs loisirs avec Internet et la téléphonie cellulaire. Comme pour l’adoption de la loi sur l’usage du tabac dans les lieux publics ou de celle sur l’utilisation du téléphone au volant, il s’écoule généralement plusieurs années avant que la société, connaissant mieux les effets néfastes de certains phénomènes nouveaux, prenne action pour intervenir et améliorer la situation. C’est ce qui se produit aujourd’hui avec la cyberintimidation, phénomène devant lequel les écoles et les parents ne savent pas encore comment réagir pour encadrer efficacement l’utilisation du cyberespace et de la téléphonie cellulaire.

Le phénomène n’est pas exclusif au Québec. En Angleterre c’est 16 suicides d’adolescents par année qui sont rapportés suite à la cyberintimidation. Un tour d’horizon international nous informe que ce sont surtout les jeunes de  10 à  17 ans, plus les filles que les garçons, qui en sont à la fois victimes et agresseurs. Entre 20% et 30% des adolescents disent en avoir déjà été victimes alors que le tiers d’entre eux n’ose pas dénoncer leur agresseur craignant qu’aucune intervention ne soit portée. Les victimes se sentent très souvent humiliées, rabaissées, ridiculisées et atteintes psychologiquement dans leur intimité la plus stricte. Pour 50% des cas, les victimes ignorent l’identité de leur agresseur, ce qui ajoute à leur insécurité qui les amène à douter des personnes de leur entourage. Du côté des agresseurs, on constate que presque 50% d’entre eux choisissent leurs victimes d’abord au sein de leur classe, de leur niveau scolaire, de leur école et même auprès de la fratrie. Ils référeraient à cette forme d’intimidation en diffamant, en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, en rejoignant leurs victimes peu importe où elles sont. Pour ce faire, les agresseurs envoient des messages textes, des clips ou des photos sur le téléphone cellulaire de leurs victimes; ils peuvent aussi écrire des courriels, des messages instantanés ou encore diffuser des images ou des propos diffamatoires sur des sites de partage comme YouTube. Les propos diffamatoires les plus souvent rapportés ciblent l’apparence des victimes, leur orientation sexuelle, leur pauvreté et leurs résultats scolaires. C’est tout le système de valeurs qui semble disparaître chez ceux qui pratiquent la cyberintimidation en s’attaquant aux handicaps physiques des victimes, à leur origine ethnique ou à leur religion. Ils agiraient par la voie technologique parce qu’ils croient qu’ainsi leur anonymat sera conservé, qu’aucun moyen ne pourra les démasquer, ce qui leur éviterait par le fait même de subir des sanctions pour ces gestes qu’ils savent répréhensibles. Le niveau d’empathie devient très faible lorsque l’agresseur est seul devant son clavier ou à l’abri de la surveillance d’adultes. Le fait que les « cyberagresseurs » ne soient pas en présence de leurs victimes accentue la sévérité de leurs propos dégradants puisqu’ils ne sont pas confrontés aux émotions manifestées par leur victime.

Mentionnons finalement que les adultes, voire les enseignants, sont aussi victimes de tels actes de la part de « cyberagresseurs ». Une enquête menée en janvier 2008 par la CSQ indique que seulement 5% des enseignants québécois auraient été victimes de cette forme d’intimidation (provenant majoritairement des élèves) durant leur carrière. Bien qu’extrêmement souffrant pour les victimes, ce phénomène ne serait pas en progression rapide au Québec, contrairement aux statistiques produites dans d’autres pays.

Le portrait est donc le suivant : les « cyberintimidateurs » le font souvent pour se venger ou pour obtenir des gains sociaux, confiants qu’ils ne seront pas dénoncés ; les victimes n’osent pas se confier et souffrent en silence ; les règles des écoles ne prévoient que très rarement des conséquences face à cet acte de violence et en général, les parents n’exercent que peu de contrôle sur la façon dont leurs enfants utilisent le cyberespace ou leur téléphone cellulaire.

Mais que doit-on faire pour mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm et régir socialement les normes d’utilisation liées aux technologies de l’information ? Et surtout, qui doit le faire ? En fait, si on considère que la prévention de la violence est l’affaire de tous, des mesures précises peuvent être prises pour intervenir sur ce phénomène. On suggère d’abord que les parents sensibilisent leur enfant à certaines normes éthiques concernant l’utilisation des moyens technologiques mis à leur disposition, de placer les équipements informatiques dans des endroits passants de la maison et de questionner leur enfant quant à leur utilisation d’accessoires tels les caméras vidéo. On recommande aussi aux parents d’être attentifs à tout changement de comportement chez leur enfant (refus d’aller à l’école, retrait, humeur triste) qui pourrait indiquer qu’il subit de l’intimidation et de communiquer rapidement avec l’école dans de tels cas.

Les milieux scolaires sont pour leur part très bien placés pour faire de l’éducation et de la prévention face à la violence faite par les élèves. Les aspects moraux et légaux doivent être abordés avec ces derniers et l’établissement d’une politique concernant toutes formes de violence permettrait de créer un climat plus sécurisant à l’école. Cette politique doit être connue des élèves, des parents et des intervenants scolaires et l’utilisation abusive des technologies de l’information doit faire l’objet d’interventions rapides permettant aux parents de prendre part aux interventions faites par l’école.

Finalement, les écrits consultés sur le sujet font clairement ressortir trois niveaux d’intervention à pratiquer face à la cyberintimidation soit : 1) l’éducation (faire connaître le phénomène, les conséquences personnelles et légales), 2) la prévention (enseigner des stratégies positives de résolution de conflits, sensibiliser au respect des différences, prévoir davantage de surveillance devant les postes informatiques, prévoir un système permettant la dénonciation, revoir la réglementation notamment celle concernant l’utilisation des téléphones cellulaires à l’école) et 3) l’intervention (soutenir les victimes, sanctionner les intimidateurs tout en les aidant à développer de meilleurs moyens pour gérer leurs conflits et exprimer leurs sentiments négatifs (frustration, vengeance, etc…).

On sait de plus que les compagnies de téléphonie cellulaire peuvent retracer les appels de harcèlement et les messages textes, qu’il est possible de bloquer certains numéros ou adresses, qu’on peut remonter jusqu’au serveur informatique qui héberge les sites « néfastes » et intervenir pour que ces sites soient interdits. Au Québec, les plaintes peuvent être acheminées au Module de la cybersurveillance et de la vigie (MCV) de la Sûreté du Québec qui a pour mandat d’analyser les plaintes relatives à la cybercriminalité. Car selon le code criminel du Canada, harceler une personne et publier des propos diffamatoires est un crime parce que ces actes peuvent entacher la réputation de la victime et créer chez elle un sentiment d’insécurité en l’exposant publiquement à la haine, au mépris et au ridicule.

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