La segmentation de l’enseignement secondaire a-t-elle un impact sur l’accès à l’enseignement collégial ?
Temps de lecture approximatif : 3 à 4 minutes
Par : Pierre Doray, Émilie Tremblay et Olivier Lafontaine, de l’UQAM, Benoît Laplante, de l’INRS, Pierre Canisius Kamanzi, de l’Université de Montréal, et Annie Pilote, de l’Université Laval
L’enseignement secondaire québécois est aujourd’hui fortement segmenté selon le statut des écoles (écoles privées et écoles publiques) et selon les types de programmes. On y retrouve des programmes ordinaires et des programmes associés à des projets pédagogiques particuliers, comme le sport-études ou l’éducation internationale.
Une équipe interuniversitaire composée de chercheurs de l’UQAM (Pierre Doray, Émilie Tremblay et Olivier Lafontaine), de l’INRS (Benoît Laplante), de l’Université de Montréal (Pierre Canisius Kamanzi) et de l’Université Laval (Annie Pilote) s’est demandé si la fréquentation d’une école publique ou privée, et de l’un ou l’autre programme influençait l’accès ultérieur aux études collégiales[1]. En d’autres mots, il s’agit de s’interroger sur les effets de la structure scolaire du secondaire sur la poursuite des études au collégial.
Source de l’image : Jannis Tobias Werner/ShutterStock
Le contexte historique et la situation actuelle
Au Québec, de 1970 à 2013, la part de l’enseignement secondaire privé a quadruplé, passant de 5 % à 21 % de l’ensemble des élèves. Ce secteur dit privé, majoritairement à but non lucratif, est aussi subventionné par l’État québécois : une école privée subventionnée reçoit, pour chaque élève, 60 % de ce que reçoit une école publique.
Le développement et l’expansion des projets particuliers dans le secteur public sont une réaction directe à la concurrence que lui livre le privé. Dès 1986, l’offre éducative de l’école secondaire publique est remise en question : beaucoup la jugent trop homogène et de moindre qualité que celle de l’école privée. Différents acteurs sociaux, notamment les parents, réclament plus de choix dans le public : le premier programme sport-études y voit le jour en 1987; le premier programme d’éducation internationale, en 2003. On estime aujourd’hui que la segmentation des études et diverses formes de sélection des élèves sont présentes dans la moitié des écoles secondaires québécoises.
Les données et la méthode
L’analyse repose sur l’utilisation de données administratives, fournies par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, et de données du recensement de la population canadienne de 2001. L’approche longitudinale retenue, qui consiste à suivre des individus sur une période assez longue, permet d’estimer l’effet net de l’origine sociale des élèves sur l’accès à chaque filière du secondaire ainsi que sur l’accès à l’enseignement collégial.
Les élèves de milieux nantis fréquentent l’école privée et les programmes particuliers
L’analyse révèle tout d’abord que la probabilité, pour un ou une élève, de fréquenter l’école privée plutôt que l’école publique croît avec l’augmentation du capital économique de la famille (ses revenus et son patrimoine) et aussi de son capital scolaire (le niveau de scolarité atteint par les parents). La probabilité de suivre un programme particulier de préférence aux classes ordinaires croît elle aussi avec le capital économique et le capital scolaire de la famille.
L’écart entre le privé et le public ordinaire
Dans un deuxième temps, l’analyse révèle que suivre l’enseignement ordinaire du secteur privé plutôt que l’enseignement ordinaire du secteur public augmente de beaucoup (77 %) la probabilité d’entreprendre des études collégiales. Par contre, suivre un programme enrichi du secteur privé au lieu d’un programme enrichi du secteur public n’augmente qu’un peu cette probabilité (14 %); être inscrit au programme d’éducation internationale d’une école privée de préférence à celui d’une école publique n’a pas d’effet statistiquement significatif.
La concurrence entre le privé et le public
L’analyse montre donc que la concurrence entre l’école publique et l’école privée a créé une structure de segmentation qui favorise la reproduction des héritages socioéconomiques et scolaires par l’intermédiaire du choix de la filière au secondaire et par l’accès aux études collégiales. Le système scolaire québécois, dans son ensemble, reproduit les inégalités socioéconomiques au lieu de contribuer à les aplanir en offrant le même enseignement de qualité à tous les élèves, peu importe leur origine sociale.
Référence
Laplante, B., Doray, P., Tremblay, E., Kamanzi, P. C., Pilote, A. et Lafontaine, O. (2018). L’accès à l’enseignement postsecondaire au Québec : le rôle de la segmentation scolaire dans la reproduction des inégalités. Cahiers québécois de démographie, 47(1), 49-80. https://www.erudit.org/fr/revues/cqd/2018-v47-n1-cqd04760/1062106ar/
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[1] Cette recherche a été réalisée grâce au soutien du Fonds de Recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada.
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Source de l’image : Jannis Tobias Werner/ShutterStock
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