Penser les écritures en interaction pour une meilleure évaluation
Dans une classe de cinquième secondaire, nous avons accompagné une enseignante dans la mise en œuvre d’une séquence didactique portant sur Le Parfum de Patrick Süskind (et son adaptation cinématographique). Les élèves ont écrit huit textes différents, tous pensés en interaction. Les interactions entre les diverses formes de textes, qui accueillaient la réception de la lecture des élèves, et la progression des écrits dans la séquence semblent avoir été bénéfiques pour l’évaluation certificative.
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Quelles écritures et quelle interaction ?
Les écritures de la réception (Le Goff et Fourtanier, 2017) permettent de recueillir la lecture d’œuvres littéraires (ou artistiques) des élèves. Diversifier les formes d’écriture permet non seulement de prendre en compte la singularité des élèves et de développer leurs compétences scripturales, mais aussi de répondre aux exigences du programme (MELS, 2009).
Pour désigner l’interaction entre les écritures, nous pourrions utiliser le terme « continuum », puisqu’il permet de mettre l’accent sur l’idée d’enchaînement et de progression, d’itérations, de reprises entre les écritures. Un écrit et sa consigne sont considérés dans leur relation avec les autres écritures en lien avec une même œuvre.
Penser les écrits en continuum implique également de les organiser selon une progression cohérente qui tient compte de la lecture de l’œuvre. Dans notre recherche, la lecture du roman était divisée en trois parties, car l’enseignante considérait le roman plutôt résistant.
Les écritures de la séquence permettaient d’accompagner les élèves avant la lecture, pendant et après. Différentes activités intersubjectives étaient mises en place, comme des cercles de lecture, un débat interprétatif et des discussions en grand groupe, ce qui contribuait à la co-construction de diverses interprétations des œuvres (littéraire et cinématographique).
La séquence des écrits dans le temps
Parmi les huit écrits des élèves, trois formes dominaient :
- des écrits métatextuels (comme une analyse littéraire) ;
- des écrits d’invention (comme un texte de création) ;
- des écrits réflexifs, définis comme des écrits pour penser, apprendre et se construire (Chabanne et Bucheton, 2002) qui permettent notamment de revenir de manière réflexive sur ses lectures et écritures (Sauvaire et St-Onge, 2022).
(1) La lecture du roman se décompose en trois temps, chacun repris dans le cahier d’accompagnement.
(2) Les productions de l’écrit réflexif III et de l’analyse littéraire se sont chevauchées en raison des consignes données par l’enseignante.
(3) Les consignes sont présentées lors de la quatrième séance, mais l’écrit s’est fait plus tard, à la maison.
La plupart des consignes se faisaient écho, ce qui renforçait l’interaction entre les formes d’écrits. Par exemple, l’écrit réflexif II demandait aux élèves de relire leur réponse à la question sur leur perception (partie 1 du cahier) : « Maintenant que tu as lu la partie 2 du roman, ta perception du personnage de Grenouille a-t-elle changé ? »
Certains écrits étaient commencés en classe et terminés à la maison, d’autres étaient écrits entièrement à la maison.
Les éléments évalués par l’enseignante
L’analyse littéraire était le seul écrit évalué de manière certificative, les autres écrits l’étant de manière formative. L’enseignante a d’ailleurs produit les consignes de l’analyse.
Essentiellement, l’enseignante évaluait la capacité des élèves à appuyer leurs propos, la cohérence, la structure (introduction, développement, conclusion) ainsi que les erreurs de langue. Dans les écrits de création (ou les écrits narratifs, comme elle les nomme), elle évaluait surtout les descriptions, en plus du vocabulaire, du respect des thèmes et du style de l’auteur.
Une conscience scripturale et les résultats
Certains élèves ont nommé explicitement l’aide que leur a procurée l’interaction entre les écrits et leur progression. Lydia, par exemple, a affirmé avoir ressenti l’interaction que l’écrit certificatif permet :
L’écrit qui m’a […] aidée à mieux comprendre le roman a probablement été l’analyse finale, car elle met en relation toutes les parties du cahier de lecture et nous pousse à réfléchir sur plus qu’une partie du roman en même temps » (Écrit réflexif III, tâche 3).
Nous avons observé que les écrits réflexifs se présentaient souvent comme des écrits intermédiaires qui permettaient d’amorcer la réflexion sur l’œuvre, mais aussi sur soi (comme lecteur-scripteur).
Dans l’analyse finale, les élèves structuraient leur discours et demeuraient cohérents. Ils formulaient tous des interprétations recevables en justifiant leurs propos et, pour la majorité, souvent de manière approfondie en exemplifiant.
L’analyse de leur capacité interprétative dans l’écrit certificatif révèle aussi qu’ils s’expriment avec une certaine sensibilité qui leur permet d’aller plus loin dans leur compréhension et interprétation. À titre d’illustration, ils sont capables de nommer ce que la lecture de l’œuvre leur a apporté comme savoir personnel (ex. : « j’ai appris que parfois, c’est l’injustice de la vie qui transforme une personne en monstre »), même si au bout du compte, ils sont évalués en termes de réussite ou d’échec.
En conclusion
En somme, évaluer les élèves nous amène à penser la dimension temporelle de la lecture et de l’écriture, et ce, dans une perspective de progression des activités de la séquence, mais aussi de mise en relation entre les écrits. Faire écrire beaucoup les élèves et varier les formes d’écriture restent également essentiels.
Références
Chabanne, J.-C. et Bucheton, D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, L’écrit et l’oral réflexifs. Presses universitaires de France.
Le Goff, F. et Fourtanier, M.-J. (2017). Les formes plurielles de l’écriture de la réception. Presses universitaires de Namur.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). (2009). Programme de formation de l’école québécoise : Enseignement secondaire, deuxième cycle. Gouvernement du Québec : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Sauvaire, M. et St-Onge, S. (2022). Une étude de la (dés)appropriation littéraire. Le français aujourd’hui, 216(1), 19‑33. https://doi.org/10.3917/lfa.216.0019
Pour en savoir plus sur les écrits de cette recherche et la séquence didactique, voir Les Cahiers de l’AQPF, volume 14, n°2, p. 23-28.
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