L’apprentissage des langues chez les enfants
Texte adapté et traduit de l’anglais deCognition Without Control, publié sur le site PhysOrg.com le 24 février 2010
A priori, on pourrait penser que les adultes sont de meilleurs apprenants que les jeunes enfants parce qu’ils sont capables de filtrer les distractions pour se concentrer à l’exécution d’une tâche ou à l’atteinte d’un objectif. Malgré le fait que le cerveau des tout-petits ne leur permet pas de se détourner des distractions, ceux-ci captent toutes les règles linguistiques tacites et les énoncés complexes mieux et plus vite que les adultes qui apprennent une nouvelle langue.
Dans un article publié dans le journal Current Directions in Psychological Science, la chercheuse en neuroscience Sharon Thompson-Schill (Université de Pennsylvanie) montre que l’incapacité des enfants à filtrer les distractions est une bonne chose. En fait, elle y explique que c’est précisément ce qui fait d’eux de prodigieux apprenants en langue. Cet article, que Thompson-Schill a coécrit avec un chercheur de l’Université de Stanford et un étudiant au postdoctorat, examine comment les jeunes peuvent apprendre des conventions sociales et linguistiques complexes, malgré le fait que leur cerveau est incapable de filtrer les distractions.
Quand un bébé nait, une « prolifération massive de synapses » s’amorce dans le cerveau immature, explique la chercheuse. Les fibres nerveuses se ramifient à travers le cortex cérébral, les réactions chimiques s’activent et le corps métabolise le sucre pour alimenter le cerveau en croissance. Contrairement à d’autres primates, les différentes régions du cerveau humain mûrissent à des rythmes différents. Le cortex visuel et auditif se développe dans quelques mois, mais le cortex préfrontal, la partie du cerveau qui régit l’attention et qui contrôle l’impulsion, ne rattrape pas cette densité synaptique avant l’âge de quatre ans.
Les avantages du sous-développement du cortex frontal
Selon la chercheuse, les enfants manifestent une déficience du contrôle comportemental et cognitif en raison de cette longue période de développement cérébral, de la même manière que les personnes qui ont des lésions au cortex préfrontal. Mais, ajoute-t-elle :
Les pouvoirs sous-développés de l’attention chez les enfants sont nécessaires pour l’apprentissage des langues.
« Depuis qu’on a découvert que les jeunes enfants ont un développement du cortex frontal lent […], on a mis l’accent sur le coût comportemental de cette trajectoire développementale. Nous aimerions déplacer l’objectif de notre recherche pour nous intéresser aux bénéfices potentiels du développement prolongé du cortex préfrontal. Autrement dit, au lieu de nous demander : « Que peuvent faire les enfants en dépit d’avoir un cortex frontal développé ? », nous nous demandons maintenant : « Que peuvent faire les enfants grâce à leur cortex frontal immature ? ».
L’apprentissage par l’expérience brute
Contrairement au cortex préfrontal de l’adulte, celui de l’enfant n’est souvent pas centré « sur la tâche à accomplir ». Par ailleurs, il est plus ouvert à l’absorption de l’expérience brute, non filtrée par un plan quelconque ou un objectif. « En raison de cette différence dans le contrôle de la région frontale, affirme Thompson-Schill, les jeunes enfants apprennent différemment des adultes. »
Un cortex préfrontal sous-développé permet aux jeunes qui apprennent des langues de choisir rapidement des mots et de les assembler – plus ou moins – dans le bon ordre et dans le bon contexte. Ils peuvent éprouver quelques problèmes initiaux avec des exceptions aux règles de la langue – par exemple, ils peuvent dire « chevals » au lieu de « chevaux » – mais ils entendent et appliquent les principales conventions linguistiques parce que leur cerveau n’est pas sous le joug d’objectifs primordiaux, comme celui de substituer une exception par un autre mot.
Thompson-Schill fait cette mise en garde : si sa théorie est vérifiée, des programmes visant à développer la maitrise de soi chez les très jeunes enfants ne seraient pas une bonne chose. « Les jeunes enfants pourraient bénéficier davantage de l’apprentissage informel et non dirigé », poursuit-elle en donnant l’exemple des Brésiliens qui enseignent aux enfants à jouer au soccer simplement en leur faisant frapper un ballon, alors que les Américains leur donnent des exercices à faire en classe.
Sharon L. Thompson-Schill, Michael Ramscar, and Evangelia G. Chrysikou (2009). Cognition Without Control: When a Little Frontal Lobe Goes a Long Way. Current Directions in Psychological Science, vol. 18, no 5, p. 259-263 (article en anglais).
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