Comment l’autocompassion favorise-t-elle la motivation scolaire et le bien-être émotionnel?

Lecture : 7 min.
Mis à jour le 11 Fév 2019

On pourrait supposer qu’une estime de soi élevée a de nombreux effets bénéfiques et est la seule solution pour résoudre une variété de problèmes difficiles. Or, la Dre Kristin Neff, professeure de psychologie à l’Université du Texas et auteure de Self-Compassion: The Proven Power of Being Kind to Yourself, remet en question cette hypothèse. D’après elle, si les enseignants et les parents veulent que les enfants développent résilience et force, la meilleure approche consiste à leur enseigner l’autocompassion.

Shutterstock/De Oksana Mizina

Autocompassion et motivation scolaire

« L’autocompassion n’est pas du tout une question d’auto-évaluation », dit Neff. Il s’agit simplement d’être gentil avec soi-même. L’autocompassion est en fait une source saine d’estime de soi parce qu’elle n’est pas contingente et qu’elle est inconditionnelle. De plus, elle est beaucoup plus stable dans le temps parce qu’elle ne dépend ni de marqueurs externes de succès, comme les notes, ni de perceptions erronées, comme celles que peuvent nourrir les personnes dont l’estime d’elles-mêmes est très élevée, voire exagérée, en ce qui a trait à leurs succès ou à leurs qualités. Neff souligne que le premier réflexe que nous avons pour nous motiver, lorsque nous commettons une erreur ou que nous sommes aux prises avec une situation difficile, est de nous critiquer. Cependant, cette attitude de jugement sévère envers soi-même serait dommageable, car elle aurait des effets préjudiciables (ex. : développer un trouble anxieux, avoir peur de l’échec), selon la chercheuse. En effet, comme l’autocritique active l’amygdale, cela entraîne une augmentation de la tension artérielle, de l’adrénaline et du cortisol. La personne qui se critique se sent alors stressée, anxieuse et nerveuse, ce qui est une réaction tout à fait logique, parce que son corps et son esprit « pensent » qu’ils sont attaqués. Et ils le sont, en réalité, mais… par la personne elle-même!

[Dossier thématique : La motivation scolaire au secondaire]

En ce qui concerne les élèves, l’autocritique peut les amener à devenir plus sensibles au perfectionnisme ou à la procrastination, par crainte de ne pas être à la hauteur. A contrario, lorsqu’un élève développe de la compassion pour lui-même, le siège de la motivation se déplace. Comme la valeur interne ne dépend pas de la réussite externe, elle le libère pour qu’il puisse expérimenter et prendre des risques. Elle lui permet également d’éprouver un véritable sentiment de bien-être émotionnel et de satisfaction, car elle favorise des états d’esprit positifs qui apportent le bonheur et l’optimisme. Ainsi, l’autocompassion cible des objectifs d’apprentissage plutôt que des objectifs de rendement. C’est un bien meilleur motivateur scolaire que l’autocritique, car l’action n’est plus motivée par la peur ou tout autre sentiment négatif. De plus, selon la chercheuse, il existe un lien empirique entre l’autocompassion et la mentalité de croissance, car elle constate également les effets positifs pour les élèves qui adoptent une mentalité de croissance :

  • Ils s’épanouissent lorsqu’ils sont confrontés à des défis;
  • Ils font preuve de résilience face aux obstacles;
  • Ils considèrent l’échec comme faisant partie intégrante du processus d’apprentissage.

Quand nous sommes compatissants, nous nous rappelons que nous sommes des êtres humains et que la condition humaine est imparfaite pour nous tous.

Kristin Neff, professeure de psychologie à l’Université du Texas

[Traduction libre]

Autrement dit, l’autocompassion et la mentalité de croissance sont des réponses solides aux aléas de la vie.

Comment enseigner aux enfants l’autocompassion?

Ce qui est encourageant pour les parents et les enseignants, c’est qu’être compatissant envers soi-même est une compétence que les enfants peuvent apprendre, qu’on peut leur enseigner, et ce, bien que cet enseignement ne constitue pas une pratique usuelle. Pour qu’un tel enseignement soit possible, les éducateurs doivent, dans un premier temps, faire comprendre aux enfants la distinction entre autocompassion et apitoiement sur soi (ex. : « Je suis nul! »; « Je ne suis pas capable! »), et entre autocompassion et arrogance (ex. : « Je suis le meilleur! »). L’éducateur doit donc faire comprendre aux élèves qu’avoir de la compassion pour soi, c’est savoir se traiter soi-même avec bienveillance, se montrer bon et compréhensif à l’égard de ses propres défauts; se rappeler que l’être humain, s’il est imparfait, est aussi perfectible.

La plupart d’entre nous ont appris à soutenir les autres. Nous devons nous donner la permission de nous traiter de la même façon.

[Traduction libre]

[Développer une mentalité de croissance chez les enseignants et le personnel scolaire]

Voici quelques stratégies pour modéliser des stratégies d’autocompassion :

  1. Donner des rétroactions positives

Les parents doivent faire preuve d’autocompassion dans leur façon de communiquer avec leurs enfants, selon Neff. Par exemple, si un enfant rentre à la maison avec une note inférieure à la moyenne, ses parents peuvent lui montrer que ce résultat constitue simplement une donnée qui pointe quelque chose qu’il peut essayer d’améliorer, plutôt que d’émettre un jugement sur son intelligence. Au lieu de le critiquer sévèrement, les parents devraient donc essayer de donner à l’enfant une rétroaction positive, qui l’aidera et le motivera à persévérer.

  1. Donner l’exemple

Les adultes doivent modéliser la façon dont ils font face eux-mêmes aux défis et à l’adversité. « Quand vous échouez ou faites une erreur, parlez-en posément devant vos enfants en utilisant un vocabulaire positif [traduction libre] », conseille Neff. « Il n’y a pas de mal à faire des erreurs. Qu’est-ce que je peux apprendre de cet échec? » Ce type de propos valorise la capacité de résilience et souligne qu’apprendre, c’est aussi (souvent!) faire des erreurs. De cette façon, l’autocompassion nous aide à résoudre les problèmes plus rapidement. Au lieu de rester coincés dans une boucle de pensées et de sentiments négatifs, les parents, en agissant ainsi, montrent à leurs enfants qu’ils peuvent aller de l’avant et envisager l’avenir en restant confiants.

    1. Être pour soi-même son meilleur ami

Pour faire de l’autocompassion une idée concrète pour tel ou tel enfant, les éducateurs qui l’entourent peuvent, par exemple, lui demander de comparer la façon dont il se traite lui-même à la façon dont il traite ses amis. L’enfant pourra sans doute comprendre qu’en agissant envers lui-même avec la même gentillesse et les mêmes attentions qu’il le fait pour un ami, il pratique l’autocompassion. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’un éducateur observe ou constate qu’un élève se sent frustré ou contrarié, il peut demander à cet élève ce qu’il dirait à un ami dans cette situation. Cette simple question peut l’aider à réfléchir à la situation et à modifier son attitude.

À l’âge de 7 ans, les enfants ont appris le concept de l’amitié. Il leur reste désormais à apprendre à être un bon ami.

[Traduction libre]

      1. Calmer le système nerveux

Lorsqu’un problème survient dans la vie ou le quotidien d’une personne, son corps réagit en produisant de l’adrénaline : le cœur se met à battre à tout rompre, la respiration devient plus chaotique, ce qui perturbe le système nerveux. Neff recommande, dans ces moments de stress, de respirer profondément tout en posant une main sur le cœur. Elle suggère même de se « serrer soi-même dans ses bras ». En effet, un toucher doux et attentionné libère de l’ocytocine (une hormone qui permet de se sentir en sécurité et « connecté »). La recherche a d’ailleurs montré que des niveaux accrus d’ocytocine non seulement augmentent fortement les sentiments de confiance, de calme et de sécurité, mais aussi facilitent la capacité de ressentir de l’amour et de la compassion pour soi-même. L’ocytocine réduit en outre la peur et l’anxiété, et peut contrecarrer l’augmentation de la tension artérielle et du cortisol associée au stress.

Même si votre cerveau semble incapable de penser à autre chose qu’au problème que vous vivez, utilisez le toucher, qui est très puissant comme geste d’apaisement, et vous parviendrez à vous calmer vous-même, par exemple en posant une main sur votre cœur.

[Traduction libre]

[La pleine attention (méditation) et l’apprentissage]

Autocompassion et traumatisme

L’enseignement de l’autocompassion n’est pas chose aisée, particulièrement avec des enfants qui ont vécu de graves traumatismes et qui, par conséquent, peuvent avoir des comportements difficiles en classe. Patricia Jennings, professeure agrégée à l’Université de Virginie et auteure du livre The Trauma-Sensitive Classroom, affirme que comme ces enfants « se sentent souvent très mal dans leur peau et que leur capacité à ressentir de la compassion pour eux-mêmes peut être affaiblie, il leur est très difficile, voire parfois impossible, d’accepter la compassion des autres ». Dans de telles situations, elle suggère aux enseignants de centrer leurs interventions sur des stratégies associées à l’attachement. Au bout d’un moment, les enfants comprennent que la compassion d’autrui va les aider à développer leur propre compassion. Ce conseil est aussi valable pour les adultes qui se refusent parfois à envisager pour eux-mêmes cette bienveillance.

La compassion envers soi est une façon de faire pour soi-même ce qu’un parent aimant et attentif ferait pour son enfant. Ainsi, si l’on a grandi avec des parents très critiques et sévères, c’est l’occasion de prendre soin de soi comme un parent inconditionnellement aimant et solidaire. 

[Traduction libre]

[Pour consulter l’article :

www.kqed.org/mindshift/52854/how-self-compassion-supports-academic-motivation-and-emotional-wellness?]

 

Références

Neff, K. (2011, avril). Self-Compassion: The Proven Power of Being Kind to Yourself. Repéré à https://self-compassion.org/self-compassion-kristin-neff/

Jennings, P. (2018). The Trauma-Sensitive Classroom. Building Resilience with Compassionate Teaching. Repéré à www.penguinrandomhouse.ca/books/599244/the-trauma-sensitive-classroom-by-patricia-a-jennings/9780393711868

Baumeister, R. F., Campbell, J. D., Krueger, J. I. et Vohs, K. D. (2013, mai). Does High Self-Esteem Cause Better Performance, Interpersonal Success, Happiness, or Healthier Lifestyles? Repéré à https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1529-1006.01431

Crocker, J. (2002, décembre). The Costs of Seeking Self-Esteem. Repéré à https://spssi.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/1540-4560.00279

 

Source de l’image : Shutterstock/Oksana Mizina

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Commentaires et évaluations

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  • Oui… tant à faire à tous les niveaux de la société pour développer ce growth mindset salvateur. J’adhère totalement à cet article.

    Karine Mallet
  • Excellente piste pour favoriser le développement des compétences vers l’accomplissement de soi. Bravo!

    Marie-Claude Lajoie
  • Excellent article, utile, intéressant. Rejoint ma façon de voir l’éducation et la motivation scolaire.

    Merci au RIRE du CTREQ

    Pierre Potvin
    • Merci Pierre pour vos commentaires positifs.

      Nathalie Couzon