Les hommes qui enseignent au primaire en voie de disparition
Texte traduit et adapté de The endangered male teacher, publié sur le site du Globe and Mail le 18 octobre 2010.
Une nouvelle étude de l’Université McGill montre que les hommes enseignants au primaire vivent dans un état d’anxiété constant. De ces enseignants, 13% déclarent avoir été accusés à tort d’avoir eu de contacts inappropriés avec des élèves.
Les hommes qui ont choisi d’enseigner au primaire sont au système scolaire ce que la chouette tachetée, le béluga et la tortue luth sont à la faune. Dans de nombreuses écoles publiques, les hommes qui ont choisi cette profession sont si peu nombreux qu’on peut les compter sur une seule main. Dans certaines écoles, on ne peut même pas les compter du tout.
« Au Canada, il est possible qu’un enfant puisse aller à l’école primaire et au secondaire sans jamais voir un homme devant la classe », explique Jon Bradley, professeur à l’Université McGill, où les hommes ne représentent que 5% des futurs enseignants du primaire à la formation des maitres.
La réussite des garçons et les modèles masculin
La tendance n’est pas nouvelle. Les hommes sont clairement en minorité à l’enseignement primaire depuis l’époque des écoles de rang. Mais avec le nombre d’enseignants qui est passé au-dessous de 20 % à l’échelle nationale, on s’est affairé à trouver des solutions à ce déséquilibre et on a même soulevé la possibilité d’utiliser la discrimination positive. De toutes les théories avancées pour expliquer pourquoi le rendement des garçons suit celui des filles, celle du manque de modèles masculins tend à être l’explication la plus souvent évoquée.
Les garçons grandissent de plus en plus sans la présence du père à la maison, les hommes enseignants au secondaire sont aujourd’hui minoritaires. Au primaire, où les enfants acquièrent leurs premières expériences scolaires, le tableau s’assombrit d’année en année.
« Les garçons viennent à penser, sans s’en rendre compte, que l’école est une affaire de filles, soutient Mike Parr, professeur en éducation à l’Université Nipissing à North Bay, Ontario. Ils ne considèrent pas l’enseignement, la lecture ni même l’apprentissage comme une affaire de gars. »
La peur des fausses accusations
Les obstacles qui retiennent les hommes de choisir la profession enseignante sont difficiles à abattre. Plusieurs pays ont élaboré des programmes visant à recruter plus d’hommes, mais la plupart de ces programmes ont échoué.
Quand ils ne sont pas rebutés à l’idée d’être seuls à utiliser la salle de bain unisexe de leur école ou le seul représentant de leur genre à la table des enseignants, les hommes perçoivent la profession comme un domaine féminin, sous-payé et surchargé de travail. De plus, ils considèrent que la profession ne jouit pas d’un bon statut social et que les hommes y sont stigmatisés.
L’argument le plus troublant évoqué par les hommes est la crainte que la société – pour des raisons historiques – se méfie d’un homme qui aime travailler avec des enfants. Et une nouvelle étude de l’Université Nipissing, au cours de laquelle les chercheurs se sont penchés sur la pénurie d’hommes en enseignement, révèle que cette crainte est justifiée.
Dans un sondage récent mené en Ontario auprès de 223 enseignants du primaire, 13 % ont déclaré avoir été accusés à tort d’avoir eu des contacts inappropriés avec des élèves.
L’étude, qui sera publiée dans le Journal de l’éducation de l’université McGill, révèle que les accusations non fondées allaient d’un blâme pour avoir tenu la main d’un élève à des accusations plus de graves qu’on a mis plusieurs semaines à démentir.
« [C’était] très, très stressant, écrit un enseignant. À quoi bon! C’est comme si vous deviez simplement faire le travail tel qu’il est décrit et oublier d’être humain! »
Malgré la taille de son échantillon et le fait qu’elle ne permette pas de faire le parallèle entre les allégations reprochées aux hommes et aux femmes, une étude financée en partie par la Fédération des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario montre que les enseignants de sexe masculin travaillent dans un état d’anxiété constant.
« Chaque jour, je vis dans la peur de faire un faux pas en classe. Il suffit seulement qu’un parent ou un collègue s’aperçoive que la ligne qui sépare l’éducation et la pédophilie est floue et je suis cuit! »
Trouver l’équilibre
Dans un article qu’ils cosignent, Mike Parr et son collègue Douglas Gosse écrivent que leurs résultats mettent en évidence la nécessité de trouver un équilibre pour préserver la sécurité des élèves et permettre aux enseignants masculins de se sentir à l’aise dans l’exercice de leurs fonctions.
« Nous devons contrer la stigmatisation sociale, explique Parr. Pour y parvenir, on pourrait penser à une campagne publicitaire, similaire à celle qui a pour but d’attirer les femmes vers des programmes de formation professionnelle. Sur des panneaux d’affichage, on pourrait montrer des hommes en train de travailler avec des enfants, afin que la société et les hommes eux-mêmes puissent se voir de cette manière. »
« Les garçons, croit-il, ont besoin de modèles masculins à l’école plus que jamais, alors que le monde moderne envoie des messages contradictoires sur ce qu’être un homme signifie. Une poule mouillée sera toujours une poule mouillée. Nous voulons que les garçons soient bien élevés, sensibles et compréhensifs … [et] ils se font intimider… Ce n’est pas cool d’être intelligent. »
Rosemary Tannock, psychologue à l’Hôpital de Toronto pour enfants malades, n’achète pas l’idée de la crise des garçons à l’école. Elle ne croit pas que leur piètre performance reflète un système d’éducation féminisé, mais suggère plutôt que les méthodes d’évaluation actuelles ne mesurent pas de façon précise ce que les garçons apprennent.
Même si elle pense que l’augmentation du nombre d’enseignants de sexe masculin serait utile autant pour les filles que pour les garçons, Tannock pense que « le genre de l’enseignant n’a pas d’effets sur le rendement scolaire, mais plutôt la qualité de l’enseignement ».
En effet, la plupart des études ont montré que les enseignants masculins n’ont pas d’effet sur la performance scolaire des garçons ni sur leurs problèmes liés à l’école, contrairement à l’influence des pairs, facteur dominant. Qui plus est, une « critique féministe», publiée dans le Journal of Education Policy l’an dernier, faisait valoir que les femmes enseignent aux garçons depuis des décennies. Seulement, aujourd’hui, les filles ont de meilleurs résultats scolaires, ce qui fait en sorte que les gens pensent que les jeunes hommes souffrent d’avoir eu des enseignantes.
Mike Parr est d’avis qu’il n’existe aucune preuve à l’effet que les enseignants masculins stimulent le rendement scolaire des garçons. Mais il souligne que les études menées à ce jour n’en étaient pas à long terme et que l’histoire montre que cela a fonctionné pour les filles.
Quand il est question des modèles féminins en mathématique, en science, en droit et en médecine soutient Parr, « [ces modèles] contribuent à augmenter les aspirations des filles en général et à accroitre leur présence dans les facultés de médecine et de droit. »
« Pourquoi cette même logique ne s’applique-t-elle pas aux hommes qui servent de modèles pour les garçons [et les filles] dans les classes du primaire? »
Des actions concrètes pour attirer et garder les enseignants
Après avoir formé les enseignants du primaire à l’Université McGill pendant 25 ans et d’avoir vu « la grande majorité » des diplômés masculins quitter l’enseignement, le professeur Bradley croit qu’il est temps d’aller plus loin qu’une campagne de sensibilisation.
« Nous avons besoin de prendre des mesures plus draconiennes, croit le chercheur, et de mener des actions concrètes pour veiller à ce que 20 % des enseignants de chaque école soient des hommes. »
Bradley poursuit : « Quand la plupart des enseignants, des directeurs d’école primaire des membres du personnel de soutien sont des femmes et que le seul homme à l’école est la plupart du temps le prof d’éducation physique, l’ensemble du système intègre intrinsèquement un préjugé défavorable envers les garçons.
« Les femmes prennent les décisions, elles choisissent les livres et la disposition de la classe ». C’est pourquoi il estime que, dans les premières années de scolarisation, on ne devrait pas trop mettre l’accent sur l’obligation de rester assis en classe et sur le stress de la coopération qui s’ajoute à celui de la compétition.
Il y a quelques années, Bradley a essayé de lancer un réseau d’hommes enseignants au primaire, mais il n’a pas pu rallier assez d’enseignants. « Probablement parce que la plupart des enseignants sont des femmes », suppose-t-il.
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Merci beaucoup Mme D’Amours, cet article parle d’un véritable problème dont souffrent plusieurs enseignants, moi y compris. J’ai d’ailleurs écrit un livre sur le sujet, intitulé « Un homme au primaire », un incontournable pour quiconque s’intéresse au calvaire que vivent plusieurs enseignants masculins dans nos écoles primaires. Encore merci.
Réforme du mode d’élection des conseillers généraux : 1 Femme et 1 homme candidats ensemble afin d’obtenir la parité 50% 50%. Personnellement j’y suis très favorable car le
constat actuel, 87% des conseillers généraux sont des hommes, est navrant.
Plus des 2 tiers des budgets des conseils généraux sont consacrés au social ! ! !
Ceci étant, ce qui est valable pour les conseils généraux serait-il obsolète dans le recrutement
des professeurs des écoles ?