Le mythe des styles d’apprentissage : comment en parler avec le personnel enseignant, la population étudiante et les élèves ?

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Mis à jour le 10 Juin 2025

Une étude menée en 2019 a suggéré que 74% du personnel enseignant québécois croit que chaque élève a son propre «style d’apprentissage» et que l’enseignement devrait idéalement être adapté à ce style pour favoriser l’apprentissage (Sarrasin, Riopel et Masson, 2019). Cependant, les recherches montrent depuis longtemps que la «théorie» des styles d’apprentissage n’est pas fondée; l’idée a été catégorisée comme étant un «mythe». Cet article traite du mythe des styles d’apprentissage et propose des considérations alternatives pour guider ses approches pédagogiques ainsi que des pistes de discussion à l’égard de ce mythe auprès de la population étudiante et des élèves.  

Source de l’image: Shutterstock  

Cet article aborde différents contenus présentés dans la conférence ayant pour titre Le mythe tenace des styles d’apprentissage: comment en parler avec les enseignant.es et les étudiant.es présentée par Ilya Zrudlo dans le cadre des conférences Scientifiquement scolaire du CEAP-UQAM. 

En quoi consiste l’idée des styles d’apprentissage 

Le mythe des styles d’apprentissage repose sur deux idées fondamentales :  

  1. Chaque élève a son propre style d’apprentissage; 
  2. L’élève apprendra mieux si son enseignant ou enseignante s’adapte à son style d’apprentissage. 

Le modèle le plus populaire du mythe entend que les élèves auraient un style d’apprentissage parmi les suivants : visuel, auditif ou kinesthésique. Donc, un élève «visuel» aurait besoin d’un enseignement de «style visuel» pour mieux apprendre.  

Pourquoi est-ce un mythe? 

À l’heure où la différenciation pédagogique est très présente dans les discussions scolaires, il est bon de se questionner sur la pertinence de considérer les styles d’apprentissage dans sa classe. Or, sur la base de plusieurs recherches, telles que Pashler et al. (2009), il n’y a pas de preuves suffisantes pour justifier l’intégration des styles d’apprentissage dans la pratique éducative. Adapter l’enseignement au «style» d’un élève ne semble pas améliorer son apprentissage. On ne devrait donc pas utiliser notre précieux temps pour proposer des questionnaires à nos élèves qui les aideraient à identifier leur style supposé ni prendre en compte ce style pour déterminer nos approches pédagogiques. 

Si on y réfléchit un peu, le contenu que l’on enseigne suggère déjà une gamme d’approches pédagogiques potentielles. Imaginez, par exemple, que vous voulez aider vos élèves à différencier certaines espèces d’oiseaux sur la base de leurs chants. Il faudra évidemment leur faire écouter une variété de chants. Difficile d’imaginer comment procéder de manière kinesthésique! Mais, si vous voulez aider vos élèves à identifier différentes espèces d’oiseaux selon leur plumage ou couleur, il faudra dans ce cas leur montrer des images ou observer de vrais oiseaux dans la nature. Illogique de procéder de manière auditive dans ce deuxième cas.  

Le «quoi» implique donc souvent un «comment» en pédagogie  règle générale que l’idée des styles d’apprentissage ne respecte pas. Mais si les recherches sont si concluantes, pourquoi le mythe est-il si répandu et attirant? 

Pourquoi le mythe est-il si attirant 

Le mythe des styles d’apprentissage est particulièrement attirant pour plusieurs raisons. Parmi ces raisons se trouvent quelques intuitions morales fortes.  

Premièrement, certains croient fortement aux styles d’apprentissage en raison de leur sens de la justice. Ils se soucient des écarts prononcés entre les résultats de différents élèves et supposent que ces écarts sont au moins partiellement dus au fait que nous enseignons seulementà« un seul » style, ou à un petit nombre de styles, laissant les autres élèves  ceux qui ne partagent pas le ou les styles dominants  de côté. Ils prennent donc en considération les styles supposés des élèves pour assurer l’égalité des chances de chacun.  

Deuxièmement, une autre intuition morale qui rend souvent le mythe des styles d’apprentissage particulièrement attirant est la conviction que chaque personne est unique et doit se découvrir elle-même. Le personnel enseignant peut vouloir soutenir la découverte de soi des élèves par l’utilisation d’outils psychométriques visant à identifier le style d’apprentissage des élèves. Le raisonnement est qu’en se connaissant mieux, les élèves pourront plus facilement s’épanouir personnellement.  

Des pistes pour en discuter avec la population étudiante et les élèves  

Bien que l’idée des styles d’apprentissage soit un mythe, le simple fait de présenter les preuves empiriques contre leur existence n’est pas toujours utile pour changer les croyances, qui peuvent parfois être très ancrées. En effet, certaines recherches suggèrent que d’insister sur les preuves empiriques peut avoir l’effet opposé, renforçant la croyance (Newton & Miah, 2017)! Comment est-il alors possible de discuter de ce mythe avec la population étudiante et les élèves 

Nous ressentons parfois un malin plaisir à détruire les croyances fausses, mais chéries par les autres. Il faut résister à cette tentation et y aller de manière plus «pédagogique». Une piste potentielle mobilise les mêmes intuitions morales qui rendent le mythe attirant, mais contre la croyance.  

  • Ceux qui sont attirés par le mythe en raison de leur sens de la justice, par exemple, ignorent souvent que les styles d’apprentissages ont été originellement conçus pour essayer d’expliquer les difficultés scolaires observées chez les jeunes africains-américains dans les centres urbains aux États-Unis (Fallace, 2019). On supposait qu’ils avaient un style d’apprentissage différent. C’était en effet un stéréotype dressé en langage scientifique. Les chercheurs et chercheuses suggèrent que prendre en compte les styles d’apprentissage risque de stéréotyper certains groupes au lieu d’augmenter leurs chances de réussite (Scott, 2010). Cette révélation mobilise le sens de la justice de notre interlocuteur ou de notre interlocutrice, mais cette fois-ci, contre le mythe. 
  • Pour ceux qui sont attirés par le mythe parce qu’ils croient que chaque personne est unique et doit se découvrir elle-même, nous pouvons leur suggérer que le simple fait de faire passer un test psychométrique à tous nos élèves n’est peut-être pas la meilleure manière de les connaître. En effet, le test des styles d’apprentissage va simplement classer les élèves en catégories générales  catégories qui, bien entendu, n’existent pas et qui effaceront les différences réelles qui existent entre eux. Mieux vaut se concentrer sur des différences qui ont de vraies retombées pour la pédagogie, telles que les connaissances préalables des élèves. Encore une fois, l’intuition morale peut être mobilisée pour critiquer le mythe. 

Dans tous les cas, la prudence est de mise afin de ne pas heurter les gens. L’objectif est de réorienter les intuitions morales à la lumière de la compréhension scientifique plutôt que de forcer l’acceptation des données probantes au détriment de la réflexion et de la responsabilisation du personnel enseignant. 

Références 

Fallace, T. (2019). The Ethnocentric Origins of the Learning Style Idea. Educational Researcher, 48 (6), 349-355. https://doi.org/10.3102/0013189X19858086  

Newton, P. M., & Miah, M. (2017). Evidence-based higher education—Is the learning styles “myth” important? In Frontiers in Psychology (Vol. 8, Issue MAR). https://doi.org/10.3389/fpsyg.2017.00444  

Pashler, H., Mcdaniel, M., Rohrer, D. et Bjork, R. (2009). Learning Styles: Concepts and Evidence. Psychological Science, 9 (3), 105-119. https://doi.org/10.1111/j.1539-6053.2009.01038.x  

Sarrasin, J. B., Ripel, M., et Masson, S. (2019). Neuromyths and Their Origin Among Teachers in Quebec. Mind, Brain and Education, 13 (2), 100-109. https://doi.org/10.1111/mbe.12193  

Scott, C. (2010). The enduring appeal of “learning styles.” Australian Journal of Education, 54 (1), 5-17. 

Zrudlo, I. (2023). Why the learning styles myth appeals and how to persuade believers otherwise. Teaching and Teacher Education, 132. https://doi.org/10.1016/j.tate.2023.104266  

Zrudlo, I. (2025). Le mythe tenace des styles d’apprentissage : comment en parler avec les enseignant.es et les étudiant.es. Conférence Scientifiquement scolaire. CEAP UQAM.  

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