L’apprentissage de la lecture au préscolaire: récit d’une expérience inspirante
En 2010, la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord implantait, en collaboration avec des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal, le projet d’apprentissage en lecture au préscolaire dans des classes en milieu défavorisé.
Lors de la première année de l’expérimentation, mille élèves ont participé à des activités de La forêt de l’alphabet. Ce programme, fondé sur des connaissances scientifiques, vise la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture à la maternelle. Les élèves sont ainsi amenés à côtoyer chaque semaine l’une des 26 lettres de l’alphabet dans quatre blocs d’activités de 15 à 30 minutes. Le programme prévoit aussi des interventions de l’orthopédagogue pour les élèves qui éprouvent des difficultés.
Dans ce premier article vedette de l’année, Marc St-Pierre, directeur général adjoint retraité à la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord, nous livre le récit d’une expérience féconde qui pourra certainement inspirer d’autres acteurs du milieu scolaire.
Ce que d’autres ont fait, on peut toujours le réussir
par Marc St-Pierre, directeur général adjoint retraité à la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord
Les orages, la brume, la neige, quelquefois ça t’embêtera. Pense alors à tous ceux qui ont connu ça avant toi, et dis-toi simplement: ce que d’autres ont réussi, on peut toujours le réussir. -Saint-Exupéry, Terre des Hommes
Préambule
Le contenu de cet article a fait l’objet de deux présentations. La première dans le cadre du 1er Symposium sur le transfert des connaissances en éducation, la seconde au Congrès 2012 de l’Association québécoise des troubles d’apprentissage (AQETA). Le résumé de la présentation faite à l’AQETA figure dans le numéro de la rentrée de la revue de cette association.
Histoire d’une démarche
À la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord (CSRDN), 35% des élèves du primaire fréquentent une école située en milieu défavorisé. Les taux de décrochage s’y sont longtemps situés à plus de 15 points au-dessus de la moyenne provinciale et de 25% à 30% des élèves passaient régulièrement au secondaire sans avoir réussi l’épreuve de lecture ministérielle de la fin du primaire. Au-delà des questions de réussite et de persévérance scolaires, la situation vécue à la CSRDN soulevait d’importants enjeux de développement régional: lutte à la pauvreté et à l’exclusion, équité et justice sociales, qualité de vie et développement des compétences pour la population du territoire, de toutes conditions et de tous âges.
Une stratégie
Comme toutes les commissions scolaires, nous nous sommes dotés d’un plan stratégique et avons convenu d’un certain nombre de cibles de réussite, toutes consignées à l’intérieur d’une convention de partenariat convenue entre notre CS et le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Nous avons notamment fait le choix stratégique de nous attaquer à l’enseignement précoce de la lecture, dès le préscolaire. C’était pour nous la voie à privilégier: permettre à tous nos élèves d’apprendre à lire avant la fin de la 1re année du primaire afin que tous vivent éventuellement une transition réussie au secondaire et persévèrent.
En 2010, nous sortions de 10 ans de réforme du curriculum. Cette réforme qui s’est accompagnée, disons-le, de certains dérapages, a fait la promotion d’approches pédagogiques qui n’ont pas toujours été adaptées aux clientèles à risque ou issues de milieux défavorisés, notamment dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, ce qui a semé des doutes au plan pédagogique et provoqué des remises en question. De plus la venue de la gestion axée sur les résultats (GAR) est venue colorer le paysage scolaire: on demande maintenant aux écoles et aux commissions scolaires de se doter de cibles de réussite, d’évaluer si oui ou non ces cibles sont atteintes et d’en rendre compte publiquement. [Lire l’article intégral]
À propos de cette expérience
À la Rivière-du-Nord – Une nouvelle approche pédagogique porte fruit (Le Devoir) « Bien apprendre à lire pour contrer le décrochage : c’est le pari que relève quotidiennement l’équipe de la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord, et c’est à l’aide du programme La forêt de l’alphabet, implanté à la maternelle, qu’on compte y parvenir. »
Apprendre à lire dès la maternelle : une recette contre l’échec scolaire? (SRC – Désautels) « Le taux d’échec scolaire et de décrochage des élèves représente l’un des principaux motifs de préoccupation dans les milieux de l’éducation à l’heure actuelle au Québec. L’une des sources à l’origine de ce problème, c’est certainement les difficultés qu’éprouvent les élèves du primaire dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. C’est ce qui a conduit, il y a quelques mois, la ministre québécoise de l’Éducation, Line Beauchamp, à vouloir revoir en profondeur la politique à ce chapitre de manière à ce que l’enseignement de la lecture se fasse dès le niveau préscolaire et de façon plus systématique que par le passé. L’expérience pédagogique dite de « La forêt de l’alphabet », menée depuis quelques années dans des écoles de Saint-Jérôme, apparaît, selon certains, fort prometteuse. »
Éduquer pour changer le monde (UQAM) « [La commission scolaire de Marc St-Pierre] a été la première à implanter dans toutes ses écoles le programme de prévention des difficultés d’apprentissage en lecture La forêt de l’alphabet, dont Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation, est l’une des principales instigatrices. «Quand nous avons analysé nos résultats après la première année, non seulement le nombre d’élèves à risque en lecture avait beaucoup diminué, dit-il, mais nous avons aussi observé une réduction de l’écart entre élèves favorisés et défavorisés, et entre garçons et filles.»
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Contribuez à l’appréciation collective
On peut bien s’obstiner sur le coût de la formation, là n’est pas la question. Le problème réside dans l’intolérance des tenants de l’approche par la découverte face à l’introduction de l’approche explicite dans les pratiques pédagogiques. Alors que l’inverse ne se trouve pas.
Depuis les années 1990, c’est l’approche par la découverte ou appelée de l’émergence au préscolaire qui a le haut du pavé dans le programme du ministère et nous avons 30% d’élèves qui décrochent dont la majorité d’entre eux ont des difficultés en lecture et en écriture. Il serait irresponsable de poursuivre dans cette direction.
La recherche en éducation démontre que l’approche par la découverte, c’est-à-dire de placer les élèves constamment dans des contextes signifiants, est souhaitable, mais que l’approche explicite est fondamentale dans l’apprentissage de la lecture-écriture. Il est donc nécessaire d’avoir une approche équilibrée qui intègre tant la découverte et que l’explicite.
C’est ce que propose le matériel de La forêt de l’alphabet, d’introduire l’explicite dans nos pratiques. Je ne peux que féliciter les enseignantes et les enseignants qui ont à cœur la réussite de leurs élèves.
Madame Jasmin, je continue de penser que la description que vous faites de la Forêt ne correspond pas à ce que j’ai observé en salle de classe. Je vous invite encore une fois à écouter le reportage réalisé par la radio de la SRC. Les témoignages sont édifiants. Concernant vos observations ds le cadre de vos fonctions de superviseure de stages quant aux difficultés de gestion des coins ou des comportements de certains élèves, vous auriez pu les faire également ds les classes où la Forêt n’est pas utilisée, vous en conviendrez. Finalement, sur les coûts, j’espère que vous ne nous reprochez pas d’avoir fourni à nos enseignantes des conditions optimales de formation. Nous aurions pu faire le choix d’organiser ces formations sans libération, lors de journées pédagogiques en juin et août. Actuellement les coûts de formation pour nos nouvelles enseignantes se font à coût nul puisque ce sont maintenant nos conseillères qui les forment. Et qui poursuivent l’accompagnement.
Vous savez, lorsque notre CS a pris ce tournant, nous savions que nous nous heurterions à une certaine orthodoxie et que nous dérangerions. Mais nous l’avons fait, et au-delà de tout cela, moins d’enfants actuellement manifestent des problèmes avec l’apprentissage de la lecture, principalement du côté des garçons et des élèves issus de milieux défavorisés. L’impulsion donnée par la Forêt se poursuit en 1ere et des 2e année avec des approches qui s’appuient sur des recherches rigoureuses et avec lesquelles vous ne seriez probablement pas à l’aise non plus puisqu’elles s’écartent elles aussi des approches de type « whole language » qui tiennent depuis trop longtemps le haut du pavé au Québec.
Oups.
On m’a fait remarquer que le coût de la formation de la méthode de la Forêt de l’alphabet tel que décrit par M. St-Pierre n’a pas inclus celui de la suppléance pour chacune des enseignantes qui doit aller suivre les 2 jours de formation. En ajoutant les coûts de suppléance, on doit bien arriver à une somme pas très loin de 1 000$ par enseignante. Ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on peut choisir une approche qui ne coûte rien comme le CAP.
Monsieur St-Pierre, je vous remercie de rectifier les informations sur les coûts de la méthode la Forêt de l’alphabet.
Je vous informe que les résultats avec l’approche CAP sont aussi bons que ceux réalisés avec la Forêt de l’alphabet. La différence: aucun coût pour l’approche CAP puisque que le matériel est disponible gratuitement sur internet, ce sont les conseillères pédagogiques qui font la formation et l’accompagnement et les livres utilisés viennent des bibliothèque de classe, d’école ou municipale. Comme gestionnaire, ces informations devraient être prises en compte surtout lorsqu’on a à gérer la décroissance au niveau financier.
C’est suite à mon expérience de superviseure de stage durant 3 sessions à Montréal et à Laval que je me suis mise à associer l’enseignement systématique à l’aide de la Forêt de l’alphabet au délaissement de plusieurs domaines. Dans les classes utilisant cette méthode, la période prévue de 30 minutes par jour s’avérait dans de très nombreux cas d’une durée de 45 min: la gestion du comportement inadéquat de certains enfants, malheureusement des garçons, ralentissait la leçon. Et je n’ai pas à vous rappeler que « choisir, c’est renoncer ». Alors, lorsqu’on choisit de 30 à 45 minutes par jour de leçon systématique avec la Forêt de l’alphabet, il faut bien couper ailleurs. Ce que j’ai vu ? Des coins maison réduits à un gros panier rempli de restants de coin cuisine, des coins blocs et peinture inexistants, peu ou pas de psychomotricité et du travail « papier-crayon » en masse. Je ne veux pas généraliser mais c’était assez fréquent pour m’alerter.
Un autre aspect qui m’inquiète beaucoup de la méthode de la Forêt de l’alphabet, c’est l’enseignement en grand groupe de façon formelle à partir de situations non signifiantes pour les enfants. Nous savons que les enfants qui réussissent ont démontré, entre autres, des capacités à prendre des décisions, à planifier, à exprimer clairement sa pensée, à interagir avec les adultes et les autres enfants. (Hirsh-Pasek et Golinkof, « Why Play = Learning », 2008). Ces capacités font parties des nombreuses fonctions exécutives qui sont reconnues comme les véritables facteurs de réussite à long terme (National Center for Learning Desabilities, « Executive functions fact sheet », 2005: http://www.nldline.com/xf_fact_sheet.htm). Or, l’enseignement en grand groupe comme le fait la méthode la Forêt de l’alphabet ne développe pas du tout ces aspects dans l’apprentissage, elle rend plutôt les enfants passifs. Voici l’une des raisons qui me fait opter pour une approche beaucoup plus significative, partant des intérêts des enfants, comme par exemple, dès la rentrée, la lecture de l’horaire, des prénoms, du calendrier, du message quotidien, et un peu plus tard, de la correspondance scolaire, de la création d’histoires, de livres, de pièces de théâtre, etc.
En tout respect, le commentaire de Mme Jasmin concernant la Forêt contient certaines faussetés. D’abord, les coûts de formation sont hautement surestimés. Il en coûte en fait 2000$ pour deux jours de formation pour 20 enseignantes, ce qui revient à 100$. La trousse pédagogique quant à elle coûte 300$, beaucoup moins chère que bien d’autres types d’ensembles didactiques. Faites le calcul: diminution radicale du nombre d’élèves à risque pour 400$, c’est une véritable aubaine. Sans compter les heures dégagées en othopédagogie pour les élèves en réelle difficulté. Écoutez le témoignage des enseignantes interviewées dans le cadre du reportage de la SRC dont le lien apparaît plus haut.
Pour ce qui concerne les élèves de 2e année, le nombre d’élèves à risque ne se remettra pas à augmenter si avec ceux-ci on continue d’utiliser des approches réputées efficaces. Il faut assurer une véritable continuité de services. De plus, affirmer que le jeu libre, les arts et la psychomotricité sont laissés de côté, voire abadonnés par les enseignantes qui utilisent la Forête témoigne d’une méconnaissance de la réalité. Il faut aller visiter des classes de la CSRDN où l’approche est utilisée pour se faire une tête. Autrement on tombe facilement dans les clichés.
L’expérience de la CS Rivière-du-Nord est très intéressante, les résultats semblent clairs.
Cependant, la formation et le matériel coutent très chers, environ 1 000$ par enseignante. D’autres approches demandant une formation minimale et qui utilisent les albums jeunesse (CAP sur la prévention, par exemple) donnent des résultats semblables sans les coûts astronomiques de la Forêt de l’alphabet.
Les recherches américaines semblent démontrer que les résultats positifs remarqués à la fin de la 1ère année avec l’utilisation du genre de méthode comme celle de la Forêt de l’alphabet ne se maintiennent pas en 2e et que le nombre d’enfants en difficulté de lecture remonte.
Le jeu libre, les arts, la psychomotricité, qui sont occultés sinon abandonnés par les utilisatrices de la méthode de la Foret de l’alphabet, doivent à mon avis, être réhabilités car ils sont des préalables essentiels à des apprentissages aussi systématiques et généralisés. L’apprentissage de groupe à cet âge a été démontré inefficace à long terme sur l’attention et la concentration.
Les dernières recherches du « Center for the developing child » de l’université Harvard donnent les informations suivantes :
Voici les 7 facteurs qui ont un impact positif sur le développement maximal des jeunes enfants en éducation préscolaire tels que décrits dans le document et la vidéo
http://developingchild.harvard.edu/resources/briefs/inbrief_series/inbrief_program_effectiveness/
http://developingchild.harvard.edu/resources/multimedia/videos/inbrief_series/inbrief_program_effectiveness/
1. Des groupes de petite taille
2. Un ratio adulte-enfant très bas
3. Un personnel qualifié et rémunéré adéquatement (« well-compensated »)
4. Des interactions chaleureuses et adéquates entre adulte et enfant (« warm and responsive adult-child interactions »)
5. Un environnement riche pour le développement du langage (« langage rich environment »)
6. Un programme basé l’approche développementale (« developmental curriculum »)
7. Un environnement physique adéquat au niveau de la sécurité dans la bâtisse (« safe physical settings »)
(…) « Very often program effectiveness comes down to relationship for changing the trajectory of children. (…)
Our goal : help states make smart décisions on how to invest in particular programs and to invest in program that are effective. » (…)
Ce sont peut-être ces données de l’université Harvard qui ont amené le Conseil supérieur de l’éducation, dans son avis d’octobre dernier sur les services aux 4 et 5 ans, d’écrire que « le modèle CPE est celui qui correspond le mieux à cet idéal de qualité [qui a été décrit précédemment] ». (p.77)
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Madame Jasmin,
Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écrire ce commentaire étoffé qui offre une autre perspective de l’apprentissage au préscolaire. Nos lecteurs pourront avoir plus d’information sur la démarche CAP sur la prévention ici : https://rire.ctreq.qc.ca/2010/03/cap-sur-la-prevention-des-difficultes-de-lecture-et-decriture/
Véronique D’Amours
Chargée de la veille et du RIRE