La relation affective significative : un préalable au lien d’attachement
Les relations affectives qui se développent en contexte éducatif sont considérées comme un prélude important de la vie sociale et affective de l’enfant. En cela, les échanges dyadiques adulte-poupon en contexte de garde représentent un lieu d’initiation affective crucial dans le continuum développemental d’un être humain. La relation affective significative qui se forme progressivement, notamment entre une éducatrice et un poupon en pouponnière, introduit des bases affectives et coopératives fondamentales qui permettent à l’enfant d’explorer le monde qui s’ouvre devant lui.
S’inscrivant dans une perspective anthropologique de la genèse du développement humain, la thèse présentée par Gauthier (2022) examine les fondements de la sociabilité humaine et les met en relief à l’intérieur des contextes de la garde éducative qui sont devenus, aujourd’hui, un espace de socialisation précoce majeur. Il s’agit, en fait, de répondre à la question suivante : comment ou de quelle façon l’éducatrice réussit à passer d’une figure inconnue « qui n’a pas de sens » à une figure affective « qui a du sens » ?
Comment peut-on définir spécifiquement la notion de relation affective significative
La sociabilité naturelle des poupons engageant l’intérêt, les intentions et les sentiments des donneurs de soins affectueux appellent à la relation affective ainsi qu’à une conscience coopérative significative (Tomasello, 1999). Cette idée de la nature humaine ramenée à son ontogenèse suppose une biologie sociale qui présume que le poupon a, à la base de son développement, une propension à communiquer au-delà du langage verbal et un puissant système motivationnel qui cherche à construire le sens de l’environnement auquel il appartient sur la base de sa relation avec autrui.
« Le nourrisson est donc doué d’un système motivationnel intersubjectif qui “recherche perpétuellement un autre émotionnel pour entrer ensemble dans un jeu coopératif, complémentaire et intersubjectif (Lyons-Ruth, 2005)” (Gauthier, 2022 p. 149). »
En ce sens, la relation affective significative résulte de l’importance de l’influence que l’enfant attribue à sa relation avec l’adulte, notamment en ce qui a trait au lien qui se crée entre les deux. Cette relation prend naissance non seulement au cœur des déséquilibres, mais surtout dans la qualité des cycles d’accordage et de réparation sollicités par l’adulte.
Figure 1. Modélisation des construits dyadiques coordonnés de la dyade entre un adulte et un poupon
Ce sont ces phénomènes substantiels et subtils au cœur de la dyade adulte-poupon qui génèrent le sens dans le rapport à l’autre et qui, selon le modèle d’intervention de la figure 1, peuvent être initialement provoqués par l’adulte qui souhaite devenir progressivement une référence significative pour l’enfant. Que ce modèle s’initie par la personne de référence ou l’enfant, que l’on tienne compte du point de vue de l’adulte ou de l’enfant, il s’agit avant toute autre chose d’une prédisposition personnelle de l’adulte quant à la dépendance d’un enfant envers lui et à ce que l’on définit comme étant la réciprocité de l’influence.
[…] l’homme en tant qu’espèce qui « naît véritablement inachevé » et qui se définit spécifiquement par son rapport à l’Autre. En ce sens, l’homme n’a pas de sens propre ; il est une histoire, il est ce qu’il devient au contact des autres (Malson, 1964 dans Gauthier, 2022 p. 164).
Il s’agit bien d’un continuum relationnel
Dans un cumul des expériences affectives de proximité vécues dans la dyade, il est maintenant possible de mettre en avant-plan un ensemble de constituants qui permet d’illustrer un continuum relationnel précis. Inspiré des états progressifs d’engagement de Bakeman et Adamson (1984), ce continuum relationnel permet de situer un point de départ et un point d’arrivée à l’intérieur d’un processus d’apprivoisement mutuel, lequel consiste à rendre, de prime abord, un individu inconnu, connu.
Figure 2. Continuum relationnel entre l’éducatrice et l’enfant en contextes de garde éducative[1]
Toutefois, nous savons qu’un individu connu n’est pas systématiquement significatif. En ce sens, il est tout à fait possible qu’une éducatrice, par exemple, puisse être stable, assurer une présence auprès des enfants de façon récurrente, mais offrir une piètre qualité de présence et d’interaction auprès d’eux en groupe ou auprès d’un enfant en particulier. Le fait d’être connu inscrit l’adulte dans un référent, certes, mais ne lui attribue pas nécessairement un sens qui rend significative la relation qu’il tente de construire.
Une définition
Au même titre qu’une relation affective n’induit pas systématiquement un lien d’attachement (Prior et Glasier, 2010), il s’agit alors de proposer une définition de la relation affective significative qui s’inscrit dans cette compréhension des différentes dimensions qui favorisent la co-émergence du sens dans cette relation affective qui se développe entre un adulte et un poupon, notamment en contexte de garde éducative. Ainsi,
la relation affective significative résulte de l’importance de la référence que l’enfant attribue à sa relation avec l’adulte, notamment au niveau du lien qui se crée entre les deux. Un lien sensible qui se construit par un rapport à l’Autre dans l’action physique de prendre soin de lui en réponse à ses besoins et qui devient, progressivement, une présence donnant un sens à la dépendance[2] et à la réciprocité de l’influence (Gauthier, 2022, p. 130).
La complexité et les subtilités des relations humaines
Un enfant ne constitue pas une entité solitaire, décontextualisée et unidirectionnelle. Un enfant agit sur, réagit à, s’oppose contre, se lie avec, etc. (Filliettaz et Schubauer-Leoni, 2008). Le type d’attachement ou la façon dont il se détermine avec le temps ne doivent pas être considérés comme un trait ou une caractéristique individuelle invariable. Ils doivent plutôt être étudiés comme un mode de relation lié à la qualité du partenaire déterminé en tenant compte du fait que cette relation est dépendante des contextes interactifs qui servent à la construire et à la définir (Le Camus, et al., 1997). Un enfant, comme un adulte, interagit dans un environnement à la fois matériellement situé et historiquement déterminé (Filliettaz et Schubauer-Leoni, 2008).
En conclusion
Les situations d’échanges dyadiques au cœur des expériences sociales, comme les situations d’intervention et/ou d’accompagnement en éducation, en parentalité et en transmission des savoirs, sollicitent des stratégies d’observation concernant des moments clés en fonction des comportements de chacun des partenaires impliqués.
Conséquemment, l’analyse séquentielle des phénomènes émanant de la dyade exige une approche très fine et démontre qu’il y a, à un moment donné, un devoir de l’adulte impliqué d’évacuer les biais, de se prédisposer et de se centrer sur l’intention de relation qui a, sans équivoque, préséance. C’est essentiellement ainsi qu’il est possible de devenir ce que Boris Cyrulnik (1999a ; 2003) appelle un « tuteur de résilience ».
Référence principale
Gauthier, M. (2022). Le développement de la relation affective significative : contribution théorique et pratique sur les échanges dyadiques éducatrice-poupon. Thèse de doctorat. Université Laval.
Bibliographie
Bakeman, R., et Adamson, L. B. (1984). Coordinating attention to people and objects in mother-infant and peer-infant interaction. Child development. 55(4). 1278-1289. https://doi.org/10.2307/1129997
Cyrulnik, B. (1999). Un merveilleux malheur. Jacob Odile.
Cyrulnik, B. (2003). Comment un professionnel peut-il devenir un tuteur de résilience. Dans Cyrulnik, B., et Seron, C.l. (2009) La résilience ou comment renaitre de sa souffrance. 23-43.
Filliettaz, L., et Schubauer-Leoni, M. L. (2008). Processus interactionnels et situations éducatives. Édition de Boeck. 325.
Le Camus, J. et Zaouche-Gaudron, C. (1997). La présence du père auprès du jeune enfant : de l’implication accrue à l’implication congrue. Psychiatrie de l’enfant. 41(1). 297-319.
Lyons-Ruth, K. (2005). L’interface entre attachement et intersubjectivité : perspectives issues de l’étude longitudinale de l’attachement désorganisé. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux. 35. 61‑81. https://doi.org/10.3917/ctf.035.0061
Malson, L. (1964) [2003]. Les enfants sauvages : mythe et réalité. Suivi de Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron. Union générale d’éditions.
Prior, V., et Glaser, D. (2010). Comprendre l’attachement et les troubles de l’attachement. Édition De Boeck Université.
Tomasello, M. (1999). The cultural origins of human cognition (french trad.). Harvard University Press.
[1] Adaptation du schéma des états d’engagement de Bakeman et Adamson (1984).
[2] Comprendre la dépendance comme cet état de vulnérabilité associé au poupon qui a besoin d’un adulte pour survivre. En ce sens, le mot « dépendance » réfère davantage à la représentation du besoin de l’autre qu’à la notion de protection initiée par Bowlby.
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