Enrichir nos significations à l’aide de la philosophie pour enfants
La philosophie pour enfants offre des occasions de réfléchir en commun à des questions qui mettent en jeu des concepts centraux dans nos vies. La soif de sens chez les enfants est réelle et il est possible et important pour les enfants d’apprendre à penser. Cet article présente quelques principes de base de cette pratique créée par Matthew Lipman (Lipman, Sharp/1977) et reconnue par l’UNESCO depuis 1999.
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Texte rédigé à partir du contenu de la conférence d’Eveline Mailhot-Paquette, doctorante en philosophie à l’Université de Montréal et formatrice en philosophie pour enfants, lors d’une journée OFF Pédago Fest ayant pour thème Comprendre le monde dans lequel on vit avec la littérature jeunesse.
La philosophie
Il n’y a pas une seule réponse pour définir ce qu’est la philosophie. Que ce soit dans la philosophie « classique » ou dans la philosophie pour enfants, un point commun est qu’il y a une réflexion sur des concepts. Les concepts sont des termes polysémiques qui prêtent à interprétation et qui nécessitent d’être expliqués. Selon la définition qu’on en donne, les concepts influencent notre vie.
Pourquoi devrait-on faire de la philosophie avec les enfants ?
Voici quelques exemples d’objectifs visés par différentes acteur·trice·s de cette pratique :
- Développer une pensée critique (appuyée sur des critères, autocorrectrice et sensible au contexte : Lipman, 2000) attentive (à soi, aux autres, aux idées) et créative (qui explore diverses options et imagine des mondes possibles) ;
- Répondre à une soif de sens;
- Favoriser la participation citoyenne;
- Prévenir la violence;
- Contribuer à l’estime de soi;
- Augmenter les compétences en littératie.
Comment se vit la pratique de la philosophie pour enfants ?
Il existe plusieurs approches pour pratiquer la philosophie pour enfants, mais le plus souvent, on retrouve les éléments suivants dans un « atelier » de philosophie pour enfants :
- Un stimulus qui met en jeu un ou des concepts philosophiques (histoire, thématique, etc.);
- Un dialogue philosophique tentant de répondre à une question d’élève dégagée du stimulus ou à une série de questions progressives et réfléchies qui explorent différents angles d’un concept philosophique. Le dialogue philosophique n’est ni une causerie, ni un débat, ni une tempête d’idées, ni une thérapie de groupe. Il prend la forme d’une enquête pour coconstruire des réponses aux questions philosophiques dans une démarche de recherche collaborative et évaluative, où le doute est valorisé et où les idées doivent être remises en question et justifiées;
- Un retour métacognitif sur le dialogue;
- Un projet pour prolonger la réflexion philosophique (artistique, politique, etc.)
Le rôle de l’animation
Le rôle de la personne qui anime le dialogue philosophique est d’adopter une posture de questionnement. Cette personne n’intervient pas sur les contenus, mais plutôt sur le processus. Son rôle n’est pas de transmettre des valeurs, mais d’aider les élèves à coconstruire leurs idées, leur réflexion commune. Une attention particulière est portée non seulement sur les idées, mais aussi sur les moyens employés pour les exprimer. Il est important d’installer une communauté qui accueille la diversité des points de vue en établissant des liens entre les interventions des élèves et en favorisant la collaboration et l’inclusion, de guider un processus de recherche rigoureux et respectueux et d’aider à creuser des pistes philosophiques.
Les questions
La philosophie pour enfants requiert des questions qui sont « en vie » et engageantes qui mettent en jeu des concepts. Elles émergent souvent de problèmes vécus. Elles doivent être universelles afin que tous puissent proposer des réponses. Elles n’ont pas de réponses définitives et plusieurs chemins sont possibles pour y répondre. Elles peuvent conduire à des recherches de type métaphysique, éthique, esthétique, épistémologique ou logique.
Utiliser la littérature jeunesse
La littérature jeunesse est un outil intéressant pour amorcer des dialogues philosophiques. En effet, au sein de ces dialogues, les participant·e·s ont la tâche non seulement de comprendre le monde tel qu’il est, mais aussi de le penser tel qu’il pourrait ou devrait être. À ce titre, l’utilisation de la littérature jeunesse est pertinente, car elle permet d’explorer des mondes possibles. Également, la littérature jeunesse permet aux enfants de s’identifier à des problématiques vécues par des personnages. Ce processus d’identification permet d’établir la bonne distance pour philosopher à partir de problèmes qui les touchent, sans mettre en jeu leurs histoires personnelles (Chirouter, 2011).
Des critères de sélection
Voici quelques critères pour guider la sélection des textes :
- Texte privilégiant le questionnement sans offrir de réponses définitives aux interrogations soulevées;
- Texte avec une absence de moralisation qui conduit le lecteur vers une réponse attendue;
- Texte avec une diversité de points de vue exprimés;
- Qualité et intérêt littéraires.
Trois pièges potentiels
- Textes qui présentent des questions qui dépassent les compétences du philosophe : il faut faire attention aux questions qui nécessitent des connaissances spécifiques (scientifiques, sociologiques, etc.) ou des habiletés surnaturelles (comme prévoir l’avenir). Par exemple, une question sur la vie après la mort ou sur la vie sur d’autres planètes rendrait difficile une démarche de recherche philosophique évaluative;
- Textes à sujets délicats, sans préparation adéquate: certains textes présentent des thématiques délicates à aborder (comme les croyances) et exigent une bonne préparation de manière à guider un dialogue philosophique ouvert et respectueux, qui ne tombe ni dans le dogmatisme ni dans le relativisme ;
- Textes moralisateurs : les élèves risquent de proposer des réponses attendues, quand le message véhiculé par un texte est trop univoque. De tels textes peuvent entraver le dialogue et rendre plus ardue l’exploration de points de vue divergents.
Une formation essentielle
L’animation d’activités de philosophie pour enfants nécessite une grande préparation. Du matériel pédagogique clé en main est disponible pour accompagner la démarche, mais la formation est essentielle à l’exercice de la philosophie pour enfants. Il existe au Québec des offres de formations universitaires et continues pour répondre au besoin de formation en philosophie pour enfants des personnes intervenantes.
Références
Chirouter, E. (2011). Aborder la philosophie en classe à partir d’albums de jeunesse. Hachette éducation.
Mailhot-Paquette, E. (2023). Enrichir nos significations : philosophie pour enfants et littérature jeunesse. Conférence. Comprendre le monde dans lequel on vit avec la littérature jeunesse. Pédago Fest. 28 avril 2023
Lipman, M. (2000). « La pensée critique: qu’est-ce que c’est? » dans La pratique de la philosophie avec les enfants, 2e édition, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 127-145.
Lipman, M., Sharp, A. M., & Oscanyan, F. S. (1977). Philosophy in the classroom. West Caldwell, NJ: Universal Diversified Services.
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