Des chercheurs tentent de savoir comment la pauvreté façonne le cerveau
Texte traduit et adapté de How poverty shapes the brain, publié sur The Globe and Mail le 25 mai 2010.
Au cours des quatre dernières décennies, les chercheurs ont établi que la pauvreté façonne la vie : un statut socioéconomique faible est associé à de mauvais résultats scolaires ainsi qu’à une mauvaise santé physique et mentale. James Swain et Amedeo D’Angiulli font partie d’une nouvelle génération de neuroscientifiques qui étudient comment la pauvreté façonne le cerveau.
Le chercheur de l’Université du Michigan James Swain utilisera un certain nombre de technologies d’imagerie (IRM) afin de comparer la structure et le fonctionnement du cerveau de jeunes adultes issus de familles à faible revenu à celui d’autres jeunes adultes de la classe moyenne.
Il reconnait que son travail peut porter à controverse, mais il espère que ses efforts aboutiront à de nouvelles méthodes pédagogiques ou à des interventions précoces pour aider les enfants issus de familles pauvres à réussir à l’école et dans la vie.
Le neuroscientifique canadien unit ses efforts à ceux d’autres chercheurs afin de montrer que le stress chronique de la vie dans une famille pauvre, entre autres facteurs, peut avoir un impact sur le cerveau en développement.
Les études mettent en évidence un certain nombre de zones du cerveau pouvant être touchées par la pauvreté, dont les circuits impliqués dans le langage, la mémoire et les fonctions exécutives, compétences qui nous aident à nous concentrer sur un problème et à le résoudre.
Des enfants pauvres capables de partager leur attention
Mais Amedeo D’Angiulli de l’Université Carleton à Ottawa veut orienter ses collègues chercheurs loin de l’idée qu’ils devraient être à la recherche de déficits cérébraux liés à la pauvreté. Lors du congrès de l’Association for Psychological Science qui s’est tenu à Boston en mai dernier, D’Angiulli a incité ses homologues à considérer les différences cérébrales des enfants pauvres comme des points forts potentiels et non des faiblesses.
« Je voudrais que ce travail fournisse des connaissances au milieu scolaire, afin d’exploiter certains des points forts de ces enfants et mettre en place des programmes qui, au lieu de les pénaliser, leur permettent de se développer »
Contrairement à la plupart de ses collègues, D’Angiulli a grandi dans un milieu défavorisé, dans l’une des villes les plus pauvres d’Italie. Il a été élevé par une mère célibataire. Étant donné que sa mère était malade, des membres de sa famille ont pris soin de lui à tour de rôle. Il a été le premier membre de sa famille élargie à fréquenter l’université, en obtenant un doctorat à la Northeastern University de Boston.
Le chercheur croit que son enfance a orienté sa recherche. Il pense que les changements cérébraux associés à la pauvreté peuvent permettre, en quelque sorte, à un enfant de s’adapter et de faire face à des environnements chaotiques ou imprévisibles.
Il a étudié comment les enfants filtrent l’information non pertinente et reviennent sur ce qui est important. Pour ce faire, il a observé l’activité électrique de leur cerveau pendant une expérimentation au cours de laquelle ils devaient écouter une série aléatoire de quatre notes et appuyer sur un bouton chaque fois qu’ils entendaient deux notes qu’on leur avait demandé de repérer.
D’Angiulli a constaté que les enfants issus de familles à faible revenu ont tendance à utiliser beaucoup plus de parties de leur cerveau pendant l’expérimentation que les enfants issus de familles à revenu moyen. Comme si les enfants à faible revenu accordent une attention égale à tous les sons qu’ils entendent, croit le chercheur. Les enfants de foyers à revenu élevé ont, quant à eux, prêté une attention particulière aux deux notes qu’on leur avait demandé d’identifier.
D’Angiulli souligne que les différences portaient sur la façon dont les jeunes participants ont réalisé la tâche, non pas sur leur réussite. Tous les enfants ont obtenu un temps de réaction et un taux de précision similaires.
Le chercheur pense que ces résultats signifient que les enfants provenant d’une famille à faible revenu peuvent facilement diviser leur attention. Ainsi, Swain pense que ces enfants pourraient mettre à profit cette habileté en fréquentant des écoles Montessori.
Le programme de ces écoles a été développé par Maria Montessori dans le quartier pauvre Lorenzo à Rome au début des années 1900. Ce programme est différent de l’enseignement traditionnel, notamment parce qu’il favorise l’autoapprentissage des élèves. De plus, contrairement à l’enseignement traditionnel, les élèves qui fréquentent une classe Montessori ne sont pas concentrés simultanément sur une même tâche demandée par l’enseignant.
À la recherche des mécanismes cérébraux de la résilience
De son côté, Swain à l’Université du Michigan se penchera plutôt sur les différentes parties du cerveau et aux connexions qui se créent entre ces régions.
Les 52 jeunes adultes qui participent à son étude ont été suivis de leur conception jusqu’à aujourd’hui par Gary Evans de l’Université Cornell. La moitié d’entre eux ont grandi dans la pauvreté, l’autre moitié dans une famille de la classe moyenne.
En juin, Swain a commencé à visualiser l’activité cérébrale de chaque participant grâce à l’imagerie par résonance magnétique. Cette expérimentation lui permettra d’évaluer leurs compétences linguistiques ainsi que leur mémoire. Le chercheur étudiera aussi comment le cerveau réagit à des visages effrayants et tentera de voir si les réactions des sujets changent lorsqu’ils sont soumis à un stress inféré, par exemple, par une séance de calcul mental devant des étrangers.
Swain connait déjà l’historique de vie de chaque sujet, ce qui lui permettra de rechercher des fonctions du cerveau associées à la résilience. Certains d’entre eux se sont sortis relativement indemnes de leur enfance difficile: Swain tentera de voir si des différences cérébrales chez ces sujets peuvent expliquer cette résilience.
D’Angiulli prévoit également mener une étude qui se penchera sur la neuropsychologie de la résilience. Il sait que de nombreux facteurs entrent en ligne de compte, dont la qualité et la nature de la relation des enfants avec leurs parents ou leur tuteur.
Le chercheur ne compte pas développer un programme de résilience rapide ou facile pour les enfants pauvres. Mais il espère que ses travaux mèneront à une meilleure compréhension de la façon dont on peut les aider à réussir.
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