Appel à la créativité en formation continue
par Jean-Philippe Perreault, chargé d’enseignement et coordonnateur du Projet « Parcours de formation continue en ECR », Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval
www.enseigner-ecr.org
Alors qu’ils sont accaparés par leurs pratiques et qu’ils doivent conjuguer les impératifs du milieu scolaire, les enseignantes et enseignants en éthique et culture religieuse sont les premiers à reconnaitre la formation continue comme un défi majeur. Dans ce contexte, quel modèle de formation saura être pertinent et mobilisateur?
L’implantation des programmes Éthique et culture religieuse (ECR) du primaire et du secondaire représentent, à plusieurs égards, un cas d’espèce.
D’une part, elle résulte du long processus de déconfessionnalisation scolaire dont les questionnements initiaux datent de la Commission Parent. La mise en œuvre des programmes ECR signe la fin d’un régime et le début d’un nouveau en ce qui concerne la place de la religion et des questions morales à l’école. On comprend dès lors que bien qu’elle s’appuie sur plus de 40 ans de débat, l’arrivée du « petit dernier » des programmes de formation fut vécue dans un contexte sociopolitique d’autant plus sensible que l’actualité du moment n’en avait que pour la « crise » des accommodements raisonnables.
D’autre part, cette implantation fut, semble-t-il, sans précédent. Alors que les réformes s’installent d’ordinaire par cohorte, ECR fut offert à tous les élèves de la première année du primaire à la cinquième du secondaire – à l’exception de 3e secondaire – dès les premiers jours de septembre 2008. Les trois années qui séparent l’annonce (juin 2005) de la mise en œuvre ont non seulement été occupées à élaborer le programme, mais à former plus de 25 000 enseignants à cette nouvelle matière. Pour ce faire, des équipes régionales de formation ont été mises sur pied en collaboration avec les universités afin de créer un réseau de personnes-ressources (conseillers pédagogiques et enseignants-formateurs). Un regard réflexif – voire métacognitif! – sur ce modèle d’implantation fut d’ailleurs publié sous la direction de Jacques Cherblanc et Dany Rondeau.
On comprend aisément que malgré ces efforts significatifs et inédits, la formation du personnel enseignant demeure toujours un défi. Voilà pourquoi une équipe de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval – Faculté impliquée dans la formation initiale des maitres en ce domaine – a mis sur pied un projet dans le cadre du programme de soutien à la formation continue du personnel enseignant (chantier 7) du MELS. L’intention du projet est d’élaborer de courts parcours de formation en ligne, gratuits et non crédités, qui, tout en s’adressant aux enseignants, seront mis à la disposition des conseillers pédagogiques et des responsables des services éducatifs pour poursuivre leurs activités de formation.
Le projet comprend quatre étapes qui correspondent, pour l’essentiel, aux quatre phases d’élaboration d’un dispositif de formation identifiées par Marcel Lebrun et ses collaborateurs. Une première phase, réalisée de février à juin 2011, visait à identifier les besoins et les modalités de formation auprès des enseignants. Une fois les données colligées et analysées, une rencontre de validation (octobre 2011) auprès de différents intervenants des milieux scolaires et universitaires a permis de mieux cerner les orientations à donner au projet. Les prochaines étapes serviront à élaborer les parcours de formation, à les expérimenter et à en faire l’évaluation.
Les défis de la formation continue
La formation continue en ECR soulève des enjeux qui transcendent les particularités de la discipline. Nous nous attarderons ici à quelques paradoxes ou tensions qui émergent du matériau et desquels il est possible de déduire ce qui pourrait bien être les conditions d’une formation continue signifiante.
Il faut d’abord souligner que les enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire interrogés expriment un réel enthousiasme à l’égard de l’ECR; enthousiasme qui, selon leurs dires, est généralement partagé par leurs élèves. Cependant, ils regrettent que cette « petite matière » ne bénéficie pas d’une « juste » reconnaissance dans leur milieu. Un enjeu qui pourrait être compris comme le simple corolaire de l’intérêt général pour cette discipline. Il est vrai que la controverse et les débats publics entourant l’ECR en ont laissé plus d’un perplexe. Toutefois, cette situation ne relève-t-elle pas aussi une certaine lutte pour la reconnaissance, évoquant davantage la concurrence que de la solidaire complémentarité des domaines de formation? À tout le moins, une formation continue ne peut faire l’économie de cette dynamique si tant est que la valorisation de la discipline apparaisse être la condition première de la motivation et de la mobilisation des enseignants pour leur perfectionnement.
Le constat est connu. Si les négocier s’avère être l’une des composantes de compétence enseignante, les contraintes de temps semblent désormais plus importantes. Bien que tous reconnaissent l’indispensabilité de la formation continue, n’empêche qu’elle demeure subordonnée à l’agenda. Il y a un écart patent entre les intentions des enseignants et les conditions de pratique et de formation. Conséquemment, soit l’on contourne cette pénurie de temps en usant de différentes stratégies, soit on l’affronte en la considérant comme un besoin réel et légitime, en rien étranger à la formation.
À l’aide de trois journaux de bord complétés entre les mois de février et juin 2011, les enseignants-répondants devaient à porter un regard réflexif sur leur pratique tout autant qu’évaluer des besoins et modalités de formation suggérés. De l’analyse du matériau, un constat s’impose : les enseignants désirent à la fois approfondir des connaissances disciplinaires (sur les religions, sur les fondements de l’éthique, sur les éléments de contenu de la pratique du dialogue, etc.) et développer des habiletés pédagogiques et didactiques (méthodes et processus d’évaluation, habiletés pour la pratique du dialogue, enjeux didactiques particuliers, etc.).
Cette bipolarité est aussi reflétée dans les orientations et les approches de formation souhaitées. La formation doit permettre de créer une distance, un espace de réflexivité pour l’enseignant tout en demeurant ancrée dans la pratique. Bien que plusieurs dénoncent le statisme du matériel et des ressources didactiques, ils se disent par ailleurs intéressés par des outils « clés en main », « génériques » et facilement applicables.
S’ils se montrent intéressés par des parcours de formation offrant un minimum de contraintes (courts, flexibles, offerts « en ligne » et en tout temps), les enseignants souhaitent également avoir des lieux d’échange avec leurs collègues, notamment sous la forme de communautés de pratiques. Pour ce faire, l’intégration des technologies de l’information et des communications (TIC) fait l’unanimité.
Développer la pratique enseignante
Enthousiasme/manque de reconnaissance; formation indispensable/manque de temps. Connaissances disciplinaires/didactiques; distance/ancrage dans la pratique; minimum de contraintes/communautés de pratiques; au final, de quel modèle de formation continue est-il question?
Lorsque des enseignants s’expriment, le regard qu’ils portent sur la formation est tributaire du lieu d’où ils parlent : celui de la pratique enseignante confrontée quotidiennement à des défis aussi bien liés aux contenus de la discipline qu’aux enjeux pédagogiques, didactiques et organisationnels. Dans ce contexte, la formation continue est envisagée comme un outil permettant d’assurer et d’animer un espace, délimité par les contingences du milieu scolaire, au sein duquel les enseignants développent leur pratique professionnelle.
Si l’on comprend bien les enseignants consultés, il ne s’agit pas que d’offrir des « actions et des activités dans lesquelles les enseignantes et les enseignants en exercice s’engagent de façon individuelle et collective en vue de mettre à jour et d’enrichir leur pratique professionnelle », comme le veut la définition courante. Un projet de formation continue devrait plus globalement assurer et animer un espace de développement professionnel. Cette perspective ne va pas de soi dans le milieu universitaire où le savoir est souvent conçu comme capital à distribuer. La demande des enseignants est pourtant explicite : ils nous invitent à contribuer au développement de leurs compétences. Certes, ils veulent s’enrichir de connaissances. Néanmoins, ils veulent surtout pouvoir mobiliser ces connaissances dans une pratique enseignante signifiante tant pour leurs élèves que pour eux-mêmes.
Si l’on en croit les répondants, à un temps en marge de la classe et de son quotidien, ils préfèrent une formation intégrée à la pratique enseignante, s’inscrivant en toute cohérence dans la continuité du programme de formation à l’enseignement. Quelques-uns suggèrent d’ailleurs un arrimage entre les formations initiale et continue. Là réside le défi : construire un dispositif de formation qui saura s’intégrer à la pratique, favoriser la construction des savoirs par l’échange, embrasser les contraintes du milieu et s’inscrire dans une perspective globale et durable de perfectionnement professionnel. De toute évidence, il s’agit d’un appel à la créativité et à l’innovation.
Références
Jacques Cherblanc et Dany Rondeau, dir., La formation à l’éthique et à la culture religieuse. Un modèle d’implantation de programme, Québec, PUL, 2010, 242 p.
Marcel Lebrun, Denis Smiots, Geneviève Bricoult, Comment construire un dispositif de formation?, Bruxelles, De Boeck, 2011, 175 p.
Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, Orientations pour la formation du personnel enseignant. Choisir plutôt que subir le changement, 12 février 1999, 22p.
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