La formation professionnelle en cirque : des expériences d’apprentissage chargées émotivement
Les écoles professionnelles de cirque sont des contextes de haute performance où se vivent différents projets de création et de présentation visant à préparer les étudiants et les étudiantes au milieu professionnel. En s’appuyant principalement sur leurs perspectives, ce texte met de l’avant l’importance de mieux comprendre les expériences d’apprentissage souvent chargées émotivement qui y sont vécues avant de se laisser impressionner par les performances auxquelles elles donnent lieu.
Crédits : © Patricia Hardy pour le Centre national des arts du cirque – 2017
Spécificités de la formation circassienne
Très convoitées de manière internationale, les écoles professionnelles de cirque sélectionnent annuellement une vingtaine de nouveaux étudiants et étudiantes après différents concours d’entrée. Tout au long de leur formation, les élèves se spécialisent au regard d’une ou de quelques disciplines circassiennes (telles que la roue Cyr, le trapèze ballant ou le fil de fer) au contact de nombreux formateurs et formatrices étroitement liés au milieu professionnel (personnel régulier, artistes invités, conseillers et conseillères artistiques, metteurs en piste, gréeurs, professionnels et professionnelles issus des domaines du théâtre, de la danse et de la musique). Ces contextes de haute performance amènent les jeunes à se démarquer en fonction de multiples projets de création/présentation afin de préparer leur entrée sur la scène professionnelle. Il ressort d’un projet de recherche l’importance de mieux comprendre les expériences d’apprentissage pouvant être chargées émotivement pour diverses raisons, notamment celles abordées ci-dessous.
Évoluer sous le regard des autres
Les espaces de travail, à quelques exceptions près, sont conçus de manière à être partagés. Il peut, par exemple, y avoir une quinzaine de séances de cours différents liés à diverses disciplines réparties de manière sécuritaire dans un grand studio. Le fait d’ainsi évoluer sous le regard de nombreuses personnes peut exacerber la vulnérabilité ressentie.
J’étais stressée, puis j’étais dans une position de vulnérabilité. […] J’étais dans une position d’inconfort […]. On est quand même toujours observés, toujours dans un lieu avec d’autres personnes qui forcément observent. (Étudiante)
Plonger dans un nouveau rapport à soi
Contrairement au développement d’habiletés techniques, le travail de création sous-tend un travail du sensible, une ouverture à l’autre, un nouveau rapport à soi. Les étudiants et étudiantes y explorent leurs propres émotions et, en se mettant en scène, peuvent se sentir fragilisés.
C’est très dur de séparer le travail de la personne. Et l’insécurité de ton travail te ramène à ton insécurité à toi. Et des fois, tu as des moments de doute. Le détachement, c’est dur parce que ton travail, c’est de te représenter toi, en scène, devant les autres. (Étudiante)
S’accoutumer à une pression de performance
Que ce soit lors de séances de travail, de présentations internes à l’école, ouvertes au public ou encore à l’international lors de festivals, les étudiants et étudiantes visent continuellement à performer. S’ajoute à la pression de performance le désir de fièrement représenter son institution ainsi que les divers artistes qui les ont formés. Au fil du temps, plusieurs s’accoutument à la pression de performance tout en réalisant que leur sentiment d’accomplissement ne peut pas uniquement dépendre d’une reconnaissance externe.
On sent cette vulnérabilité d’être le meilleur étudiant. C’est très important que je rende l’école fière, que l’école soit fière de moi. Puis, j’ai commencé l’école comme ça et ça a très, très mal tourné. J’étais très malheureux. Ça ne m’a rien apporté et je me suis rendu compte que, si j’étais ici, c’était pour me former, moi. (Étudiant)
Se soucier des expériences d’apprentissage
Bien que de nombreux projets d’apprentissage soient orientés vers des occasions de visibilité, il n’est pas souhaitable d’oublier l’importance de se former avant même de performer.
Je suis arrivée et je pense que j’étais vraiment stressée et gênée. […] Des fois, on oublie qu’on est ici pour apprendre. (Étudiante)
Les gens, en règle générale, s’intéressent à nous quand on est rendus sur scène. [Ce qu’on a vécu avant] est un peu la partie cachée de l’iceberg, tu vois. C’est énorme, mais on ne le voit jamais. (Étudiant)
Alors que l’attention est souvent portée sur le résultat, les expériences d’apprentissage et de création façonnent le parcours des artistes appelés à se définir. Les témoignages émergeant de ce projet rappellent l’importance de se soucier de ces expériences, souvent chargées émotivement, avant de se laisser impressionner par les performances auxquelles elles donnent lieu.
C’est très rare. C’est prendre en compte l’humain et c’est si important en arts. On l’oublie souvent. On le met de côté. Merci à toi d’être là pour ça. (Enseignant)
Références bibliographiques
Skelling Desmeules, M.-E. (2024). Mettre son corps en jeu dans la création de numéros disciplinaires en formation circassienne, Journal de recherche en éducations artistiques (JREA), 4, 26-35. https://doi.org/10.26034/vd.jrea.2024.6115
Skelling Desmeules, M.-E. (2024). Trois terrains en contextes de formation artistique : de l’expérience d’intégration de la chercheure à celle de participation d’enseignants et d’étudiants. Dans N. Gauthard et É. Martin (éd.), Le terrain en arts vivants. Récits, méthodes, pratiques (85-94). Presses universitaires de Bordeaux, V@demecum. https://una-editions.fr/trois-terrains-en-contextes-de-formation-artistique/
Skelling Desmeules, M.-E. (2023). Quand les circassiens se réapproprient le pouvoir du corps par le théâtre. CERCETĂRI TEATRALE/ÉTUDES THÉÂTRALES, « Corps et pouvoir dans les arts du spectacle », 157-175.
https://uartpress.ro/journals/index.php/cercetariteatrale/article/view/417/396
Skelling Desmeules, M.-E. (2022, paru 2023). Les expériences de professionnalisation en contexte de formation artistique : le cas du cirque. Revue des sciences de l’éducation de McGill [MJE/RSEM], 57(1), 181-200. https://www.erudit.org/en/journals/mje/2022-v57-n1-mje08286/1102019ar.pdf
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