La liberté d’expression des enseignants en classe, l’art du funambulisme bien géré
Qui aurait pu prévoir que l’ouverture à la discussion dans les classes deviendrait une stratégie d’apprentissage audacieuse et risquée? En effet, il semblerait que certains sujets demandent aujourd’hui une telle délicatesse à l’intérieur d’un groupe classe que plusieurs enseignants préfèrent éviter les risques du funambulisme pédagogique.
Dans le but d’outiller les enseignants, notamment pour qu’ils puissent développer leur confiance lors de certaines situations pédagogiques, l’article de Maxwell[1], McDonough[2] et Waddington[3] (2020) aborde la question suivante : quelles sont les limites raisonnables encadrant l’enseignement de sujets controversés? Dans les balises juridiques qui sous-tendent la liberté d’expression, l’analyse des trois professeurs dégage quatre grands principes en lien avec le rôle de l’enseignant.
1) L’alignement avec le programme
Ce premier principe soutient que l’approche privilégiée doit s’aligner de manière claire sur le programme d’enseignement. De prime abord, il s’agit de s’assurer que le sujet abordé ainsi que la stratégie pédagogique sont en lien étroit avec les objectifs du programme. La cohérence de l’approche associée à ces objectifs pourrait être jugée; il faut donc être en mesure d’appuyer son efficacité. En ce qui concerne le sujet pouvant être controversé, il suffit que les modalités d’enseignement soient raisonnablement cohérentes avec les intentions pédagogiques se rapportant aux objectifs d’apprentissage du programme pour l’aborder (Maxwell et al., 2020). Une lecture adéquate du contexte demeure essentielle de la part de l’enseignant avant de se lancer ainsi qu’une maîtrise optimale du sujet.
2) L’impartialité
Dans un souci exemplaire de conformité juridique en lien avec la liberté d’expression en contextes éducatifs, il faut garder à l’esprit que l’élève ou l’étudiant est considéré comme un public captif. Conséquemment, l’enseignant doit faire preuve d’impartialité et tout mettre en œuvre pour maintenir la confiance envers les institutions qu’il représente. Que l’enseignant partage des points de vue n’est pas à proscrire. Dans cette perspective d’échange, encourager les élèves à considérer différents points de vue opposés en respectant un modèle d’enquête intellectuelle honnête. En fait, il s’agit « simplement d’adopter une approche pédagogique raisonnablement impartiale lors du traitement de sujets sensibles pour éviter de donner l’impression d’imposer leur opinion à leurs élèves » (Maxwell et al., 2020 p.188).
3) Le non-usage de propos possiblement incendiaires
Ce troisième principe répond à l’objectif de maintenir au sein de l’école un environnement propice aux apprentissages. Il est donc « raisonnable de demander au corps enseignant d’éviter de commenter, de traiter de sujets ou d’utiliser du matériel qui pourraient, de façon prévisible, perturber le bon fonctionnement de l’école » (Maxwell et al., 2020 p.189). Les auteurs précisent qu’il faut tout d’abord distinguer les propos controversés de ceux qui sont incendiaires. Autrement dit, les enseignants doivent faire preuve de jugement quant à l’utilisation aux fins pédagogiques du sujet sensible pouvant faire réagir les élèves et éviter ceux plus glissants susceptibles de provoquer une crise de confiance du « public ».
4) La pertinence du contenu en fonction de l’âge
En termes juridiques, le milieu scolaire a la responsabilité de veiller à la protection des élèves devant l’exposition de contenus jugés « inappropriés » en contextes éducatifs. Comment donc définir exactement ce qui est « approprié »? Pour nous éclairer, l’article de Maxwell et de ses collaborateurs propose deux catégories de contenu dit « inapproprié ».
- Un contenu qui serait raisonnablement susceptible de traumatiser un ou une élève en fonction de son âge ou de son niveau de développement.
- Un contenu qui ne serait jamais approprié dans les écoles, et ce, peu importe l’âge des élèves : le matériel haineux, ainsi que celui présentant une violence extrême ou de la sexualité explicite.
Le contenu approprié est donc un contenu adapté qui ne risque pas de rompre le lien de confiance qui doit primer toute situation menant à l’ambiguïté. « Le non-respect de ce principe pourrait créer un environnement scolaire ‟toxique” en ce sens que les parents seraient raisonnablement réticents à confier leurs enfants à l’école et les jeunes ne seraient pas à l’aise d’y aller. » (Maxwell et al., 2020 p.191)
Conclusion
Il est évident que certains sujets d’actualité peuvent nécessiter une réflexion plus approfondie avant de les exposer dans le cadre de la classe. L’utilisation de thèmes ou de sujets controversés peut sortir les élèves d’une zone de confort ainsi que l’enseignant en cours de route. Or, l’analyse de la jurisprudence pertinente du Canada, des États-Unis et de documents légaux secondaires permet d’extraire des principes délimitant l’exercice de la liberté d’expression en enseignement (Maxwell et al., 2020). En regard de ces principes, l’enseignant a tout avantage à aborder le risque de manière calculée afin de favoriser le développement de l’esprit critique, de l’argumentaire et de l’art du débat auprès des citoyens de demain.
« Paradoxalement, les sujets qui pourraient potentiellement perturber le climat scolaire − nommément ceux qui soulèvent les passions des élèves parce qu’ils collent davantage à leur réalité − sont ceux qui fourniraient les occasions les plus riches pour le développement des compétences liées à l’examen critique et au dialogue (Oxfam, 2006). » (Maxwell et al., 2020 p. 189)
La capacité de prendre position est une chose, mais de savoir soutenir ses idées manière respectueuse en étayant un argumentaire structuré, rationnel et raisonnable demeure une compétence qui doit se consolider tout au long du parcours scolaire. L’enseignant joue un rôle majeur dans la création de ces espaces privilégiés de discussion et d’échange. Encore faut-il qu’il se fasse confiance.
Référence
Maxwell, B., McDonough, K. et Waddington, D. I. (2020). La liberté d’expression des enseignants en classe : quatre principes directeurs et leurs fondements juridiques. Revue des sciences de l’éducation, 46(3), 174-198. https://doi.org/10.7202/1075992ar
[1] Professeur à l’Université de Montréal
[2] Professeur à l’Université McGill
[3] Professeur à l’Université Concordia
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