Le collège peut-il protéger contre la dépression?

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Mis à jour le 02 Fév 2015

La santé mentale des étudiants postsecondaires, tant collégiaux qu’universitaires, constitue actuellement une préoccupation majeure autant en Amérique du Nord qu’en Europe. Au cours des deux dernières décennies, la prévalence des troubles d’adaptation et de santé mentale a fortement augmenté et s’est complexifiée au sein de cette population.

depression-collegepar Diane Marcotte, UQAM; Aude Villatte, UQO et Alexandra Potvin, Cégep Sorel-Tracy.

En effet, une étude indique qu’au cours d’une période de 13 ans, la proportion d’étudiants dépressifs et anxieux a doublé tandis que la proportion d’étudiants suicidaires a triplé. Cette augmentation du nombre de demandes de services et de la gravité des problématiques présentées est aussi confirmée par les professionnels concernés.

La transition secondaire-collégial

Lors de leur arrivée au collégial, les étudiants se trouvent confrontés à une liberté accrue, notamment en termes de choix de cours et de gestion de leur horaire, liberté qui nécessite du même coup davantage d’autocontrôle ou de discipline personnelle. Les jeunes qui n’ont pas développé une capacité d’autocontrôle suffisante, soit parce qu’ils n’ont pas été suffisamment encadrés par l’école et le milieu familial ou qui, au contraire, ont été soumis à un encadrement trop rigide, peuvent vivre des difficultés.

L’accroissement de la charge de travail à accomplir à l’extérieur des cours, les exigences académiques plus grandes et la nécessité de préciser son choix vocationnel pourraient également contribuer à déstabiliser ces nouveaux étudiants. D’un point de vue individuel, ces difficultés pourraient s’expliquer par un fossé trop important entre les exigences d’une double transition, soit vers l’âge adulte d’une part et vers l’enseignement postsecondaire d’autre part, et les capacités adaptatives de certains étudiants.

Quelques mots des auteurs sur ce projet de recherche

À l’automne 2012, notre équipe de recherche s’est jointe aux professionnels du Cégep de Sorel-Tracy afin de mener un projet dans lequel nous souhaitons élaborer des outils de prévention pour les enseignants et les professionnels oeuvrant auprès des étudiants qui vivent des symptômes de dépression.

Ainsi, pendant la première année de ce projet, nous avons tenté d’explorer les facteurs associées à la dépression chez les collégiens d’une part, mais aussi les facteurs de protection qui permettent à ces étudiants de bien s’adapter lors de la transition secondaire-collégial.

Dans cet article, nous tentons de préciser les facteurs de résilience, permettant d’expliquer pourquoi certains étudiants, pourtant en situation de vulnérabilité en raison de difficultés familiales ne présentent pas de symptômes de dépression.

Une population à risque de vivre des symptômes dépressifs

Les problèmes de santé mentale chez les étudiants postsecondaires ont d’importantes répercussions sur leur trajectoire scolaire. Les jeunes dépressifs présentent une probabilité de décrocher de l’école de 1,5 fois à 3,28 fois plus élevée que les étudiants n’ayant aucun problème.

Également, 46 % des jeunes révèlent la présence d’un trouble psychiatrique comme raison principale pour expliquer leur décrochage scolaire.

Au Québec, nous n’avons encore que très peu de données concernant le décrochage scolaire des jeunes dépressifs lors du passage au collégial. Cependant, nos connaissances des étudiants confirment une association étroite entre la dépression et le risque de décrochage scolaire.

La dépression est associée à une plus faible probabilité d’accéder aux études supérieures, d’y persister et à de plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail. Au Canada, les prédicteurs directs de la persistance lors de la transition postsecondaire sont le sexe, le soutien des parents, le stress, la dépression et la moyenne pondérée de la première année d’étude. Compte tenu de ces éléments, il s’avère essentiel d’identifier les facteurs de risque liés à la santé mentale, et plus particulièrement à la dépression.

Principaux facteurs de risque

Les facteurs de risque familiaux figurent parmi les principaux facteurs de risque de la dépression chez les jeunes. Parmi eux, figurent la présence d’un parent dépressif, le fait de provenir d’une famille dysfonctionnelle, violente ou négligente, l’absence de soutien affectif et d’encouragement à l’autonomie et le fait d’être en conflit avec ses parents.

Au-delà des facteurs familiaux, les études identifient un certain nombre de variables individuelles susceptibles d’accroître le risque de dépression lors de la transition vers l’âge adulte. Parmi ces facteurs individuels figurent le fait d’être une fille (à partir de l’adolescence, les filles dépressives sont au moins deux fois plus nombreuses que les garçons), d’avoir une faible estime de soi et d’importantes distorsions cognitives à propos de soi-même, du monde et de l’avenir et de présenter un haut niveau d’anxiété.

Le fait d’avoir vécu un épisode dépressif durant l’enfance et d’être confronté à des événements de vie négatifs ont également été identifiés comme facteurs de risque de la dépression à l’âge adulte émergent. Plusieurs études identifient également la consommation de substances comme un facteur de risque. Des facteurs sociaux sont aussi identifiés tels qu’un faible soutien social des pairs et l’exclusion sociale découlant de la discrimination liée par exemple, à l’origine ethnique, au sexe, ou à l’incapacité physique. Plusieurs études soulignent ainsi l’influence de l’orientation homosexuelle ou bisexuelle sur l’anxiété et la dépression à l’âge adulte émergent.

Les résultats de l’enquête

Nous avons recueilli des informations auprès de 389 étudiants âgés de 16 à 35 ans et nous avons formé un groupe de 52 étudiants déprimés que nous avons comparé à un groupe de 42 étudiants que nous avons nommés les «résilients» puisqu’ils ne présentaient pas de symptômes de dépression en dépit du fait qu’ils vivaient des difficultés familiales.

Développement des choix personnels et de l’identité

D’un point de vue personnel, les résultats de notre étude confirment les travaux qui soulignent combien l’anxiété ainsi que les pensées dysfonctionnelles contribuent à accentuer les symptômes dépressifs chez les adultes émergents. Parmi ceux qui se trouvent confrontés à un contexte familial difficile, les étudiants qui parviennent à développer des stratégies individuelles destinées à réguler le stress et l’anxiété et à adopter des schémas de pensée plus fonctionnels seraient moins à risque de vivre des symptômes dépressifs.

De même, le fait d’avoir un projet de vie, en termes personnels et professionnels, serait un facteur puissant de résilience lors de la transition vers l’âge adulte. Ce résultat vient confirmer l’importance maintes fois affirmée du développement des choix professionnels et de l’identité.

Des différences entre garçons et filles

Les garçons, plus que les filles, semblent davantage prémunis contre les symptômes dépressifs lorsqu’ils évoluent au sein d’un contexte familial « à risque », ce qui ne signifie pas qu’ils ne développent pas d’autres troubles, plus extériorisés tels que des comportements délinquants ou la consommation d’alcool et de drogues. Les garçons qui vivent dans un environnement familial difficile et qui choisissent de quitter le domicile familial présenteraient plus de chances d’être résilients.

En outre, les filles considèreraient les mêmes problèmes comme étant plus complexes, attribueraient davantage leur origine à des facteurs internes et auraient davantage tendance à ruminer et à adopter des attitudes dysfonctionnelles en lien avec la dépendance, plutôt qu’à adopter des stratégies de coping actif, augmentant par là-même le risque de dépression.

Les facteurs scolaires et sociaux comme trame du processus de résilience

Les étudiants résilients rapportent qu’ils ont du soutien de leurs amis et une relation amoureuse plus satisfaisante que les étudiants déprimés.

Nos résultats tendent à confirmer le fait que bien des individus se développent grâce ou à travers l’investissement de la scolarité, malgré des conditions de vie aversives.

Les étudiants résilients sont plus motivés face à l’école et plus attachés à leur collège. Ils s’y adaptent mieux et consacrent plus d’heures à leurs études. Ils réussissent mieux à l’école.

Ils décrivent moins leur enseignant comme trop exigeants et davantage comme attentifs à leurs besoins. Le rôle de l’institution scolaire dans le processus de résilience est donc majeur en ce qu’elle peut permettre aux jeunes plus vulnérables de s’investir dans des expériences positives, de développer son identité et son estime de lui-même ainsi que de construire des relations sociales et affectives signifiantes avec ses pairs et avec des adultes.

Conclusion

Cet article, dans la lignée des travaux actuels sur la résilience, propose donc un nouveau regard, plus nuancé, sur le devenir des jeunes adultes confrontés à des difficultés familiales, en prenant en compte les ressources et les compétences internes et externes qui vont lui permettre de se protéger, et notamment d’atténuer l’impact délétère des risques.

[Consulter la recherche]

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