Compte rendu de la conférence de François Guité – Générations Internet et médias sociaux : l’éducation déstructurée
François Guité est un pédagogue et l’un des premiers blogueurs en éducation. Praticien réflexif, il s’intéresse à l’innovation en éducation et aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Le 27 septembre dernier à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), il a présenté une conférence intitulée « Générations Internet et médias sociaux : l’éducation déstructurée » à l’invitation du Consortium régional de recherche en éducation (CRRE).
François Guité introduit sa conférence en soulignant les changements qu’il a observés chez ses élèves et qui l’ont amené à modifier ses pratiques à son retour à l’enseignement, après une interruption de 2 ans. D’abord, la moitié de ses élèves possèdent des appareils mobiles (iPod, téléphone intelligent, tablette numérique) et la quasi-totalité d’entre eux sont sur Facebook. De plus, il remarque que les adolescents n’ont pas de réticence à mettre leurs productions en ligne et qu’ils ont une plus grande connaissance technique des outils qu’ils manipulent que leurs prédécesseurs.
Quelques années plus tôt, l’enseignant avait déjà commencé à expérimenter « l’autogestion assistée de l’apprentissage » avec ses élèves en utilisant les médias sociaux. Il remarque que la liberté laissée aux élèves a plusieurs effets : les jeunes manifestent le besoin de socialiser en présentiel, leurs travaux sont de qualité supérieure à ceux d’avant et ils délaissent les outils de l’école au profit de ceux qu’ils utilisent à la maison.
L’information d’aujourd’hui est plus désorganisée que celle d’hier, moins linéaire. De ce fait, l’éducation doit adapter ses pratiques afin de doter les élèves des compétences nécessaires pour comprendre cette information, la décortiquer et l’organiser selon leur propre schème de pensée. Cependant, un fossé s’est creusé entre les élèves et les enseignants, ces derniers recourant encore souvent à des stratégies pédagogiques de l’ordre de la transmission, où l’enseignant livre de l’information organisée pendant un monologue.
Pour François Guité, le défi de l’innovation pour les enseignants consiste à ce qu’ils se « désintoxiquent » de leurs anciennes connaissances et façons de faire pour s’adapter au contexte chaotique de l’information et de la construction des connaissances.
Un contexte technologique marqué par les révolutions
Pour bien circonscrire le contexte technologique actuel dans lequel sont immergés les jeunes et qui modifie leurs façons d’apprendre, le conférencier présente cinq grandes révolutions : l’ingénierie informatique, le langage informatique, la production de données, la propriété intellectuelle et les réseaux.
L’ingénierie de l’informatique
Les appareils mobiles sont de plus en plus puissants, de moins en moins cher et offrent presque la même résolution d’écran que les ordinateurs de bureau, en plus de comprendre des fonctions intégrées qu’on ne trouve pas sur les ordinateurs. Les élèves savent tirer profit de ces appareils, mais pas de la même manière que les adultes.
Le langage informatique
L’invention du langage binaire a révolutionné les communications et la production. Des imprimantes 3D permettent aujourd’hui la fabrication rapide et économique d’outils mécaniques, ce qui allège les processus de développement technologique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il n’est pas nécessaire d’investir un capital important pour produire en masse. Le conférencier donne un autre exemple d’innovation lié à l’éducation. Des robots-enseignants sont intégrés dans certaines classes au Japon pour pallier le manque d’enseignants dans ce pays.
La production de données
L’information se décuple année après année. Pendant la seule année 2006, l’humanité a produit 100 fois plus de données qu’on en trouve dans la librairie du Congrès, une des plus importantes bibliothèques au monde. En 2008, l’humanité avait produit autant de données que depuis l’Antiquité. Nous sommes passés de la consommation des médias, à la production de médias : tout un chacun peut maintenant produire de l’information et la mettre en ligne.
La notion de propriété intellectuelle
L’information passe du privé au communautaire. Le conférencier donne l’exemple de Wikipédia, cette encyclopédie libre et collective. Encore à ses balbutiements, Wikipédia est une encyclopédie d’envergure dont le nombre d’articles dépasse celui de la populaire encyclopédie Britannica. L’information de Wikipédia, que 60% des médecins européens reconnaissent comme fiable, trouve pourtant encore ses détracteurs.
Le conférencier se questionne : « Je suis toujours étonné d’entendre des enseignants douter de la validité de Wikipédia. Ne mettent-ils jamais en doute la validité de leurs propres connaissances? Croient-ils que les manuels sont exempts d’erreurs? »
Les réseaux
Pour finir cette première partie de la présentation, Guité rappelle à l’auditoire que l’invention d’Internet est le don de ces principaux inventeurs, Cerf et de Berners-Lee, à l’humanité. De ce don nait une obligation morale de redonner à Internet à qui en tire profit. Enfin, grâce à Internet, la science des réseaux se développe et l’innovation s’accélère…
Les générations Internet
Le cerveau humain s’adapte à son environnement. L’enfant qui nait dans notre monde s’adapte d’une manière qui n’est la même que les générations précédentes. Pour cette partie de la conférence, Guité explique les caractéristiques des jeunes – qu’on appelle les « natifs d’Internet» – caractéristiques dont les enseignants doivent tenir compte dans leur pratique.
Les jeunes s’adonnent au multitâche, c’est-à-dire qu’ils réalisent plusieurs tâches simultanément (regarder la télévision et écrire des SMS, par exemple). Ils cherchent de l’information quand survient un besoin. De ce fait, les jeunes ne portent peu d’intérêt à l’information qu’on leur donne si elle n’est pas en lien avec leur préoccupation du moment. Ils trouvent l’information le moment venu.
De plus, ils ont besoin d’êtres émerveillés, d’être stimulé et en action ce que leur procure le multimédia, qui abonde d’ailleurs sur Internet. Le conférencier résume : « La compétence de l’enseignant n’est plus tant dans la production de matériel didactique, mais dans la recherche de matériel. »
Les jeunes personnalisent leurs appareils technologiques et se sentent compétents à les utiliser. Cela leur donne le sentiment de contrôler leur monde virtuel. Cette perception de contrôle est l’un des facteurs de la motivation scolaire. Pour augmenter cette perception de contrôle sur l’apprentissage, l’enseignant gagnerait à partager la gestion de classe avec ses élèves, partage qui aura aussi pour effet de solidifier le lien de confiance entre ses élèves et lui.
La propriété intellectuelle ne trouve pas le même sens chez les jeunes que chez les générations qui les précèdent. Baignés dans l’abondance de l’information et de services accessibles sur le Web, l’information est pour eux moins privée que collective. Ils tendront à aller vers la gratuité des ressources en ligne plutôt que d’acheter des logiciels et des livres, par exemple.
Les jeunes dédaignent la hiérarchie qui est par ailleurs absente sur les réseaux sociaux. Et s’ils y sont confrontés, ils trouvent les moyens de l’éviter. Si leur école bloque l’accès à des sites Internet, ils se doteront des moyens pour contourner les filtres. De l’avis du conférencier, l’école qui bloque l’accès aux réseaux, « plutôt qu’éduquer, incite à la délinquance. »
Parce qu’on les voit souvent les yeux rivés à leur écran, on peut penser que les jeunes socialisent presque uniquement virtuellement, ce qui n’est pas le cas. Les jeunes socialisent autrement. Selon une étude, les usagers des médias sociaux sont plus sujets à participer à des activités de groupe. En fait, les jeunes, sensibles à la notion de collectivité, ont besoin de contacts en présentiel.
Les natifs d’Internet possèdent plusieurs identités virtuelles sur les réseaux sociaux pour créer et partager de l’information. Même si on pourrait croire qu’ils sont habilités à gérer leur identité numérique, ils ne sont pas toujours conscients de l’impact des réseaux sociaux dans leur vie privée. Il faut donc leur enseigner à le faire.
Pour résumer en quelques mots son exposé, François Guité rappelle qu’un contexte différent appelle des compétences différentes. Les enseignants ont la responsabilité de s’adapter à leur époque et donc, à leurs élèves.
Les médias sociaux et l’apprentissage
Guité fait la distinction entre les médias sociaux et les réseaux sociaux pris souvent pour synonymes. Les médias sociaux suscitent la participation, la création et l’échange de contenu par et entre les utilisateurs. Les réseaux sociaux permettent, quant à eux, de communiquer au sein d’une communauté plus circonscrite et plus sociale.
Les médias sociaux sont un phénomène social qu’on ne peut nier. Ils sont partout : à la maison, au travail et à l’école. L’enseignant doit préparer les jeunes à l’environnement du marché du travail qui est de plus en plus branché sur les médias sociaux.
Les médias sociaux sont incontournables et on note une augmentation du temps qu’on passe à les utiliser. Selon une étude de la Fondation Kaiser, les jeunes passent plus de 10 heures par jour à consommer des médias, notamment, sur leurs appareils mobiles. Cette statistique révèle aussi que les élèves passent près de 2 fois plus de temps sur les médias sociaux qu’en classe. Si l’apprentissage est le fruit de stimuli, l’exposition des jeunes aux médias sociaux entraine nécessairement des apprentissages, même si ceux-ci ne sont pas académiques…
Quels sont les impacts des médias sociaux sur la lecture?
Les jeunes aujourd’hui lisent plus qu’avant que du temps de l’imprimé. Ils lisent à l’écran, le plus souvent sur leurs appareils mobiles, à tout moment de la journée.
Comme la communication devient de plus en plus médiatique, on ne devrait plus considérer la lecture que sous le seul angle du décodage textuel. Le Conseil canadien de l’apprentissage (CCA) considère que 50% Canadiens ont du mal à comprendre les codes de communication, codes qui ne sont plus nécessairement textuels. Pour porter un nouvel éclairage sur cette réalité, on parle alors de translittératie, c’est-à-dire « l’habileté à lire, écrire et interagir en utilisant une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication. » (Sue Thomas)
Le conférencier formule cette recommandation : les enseignants devraient tenir compte de cette translittératie et adapter leur perception de la lecture pour éviter de creuser le fossé technologie-littératie qui les sépare de leurs élèves.
Pourquoi un enseignant devrait-il utiliser les médias sociaux?
Guité répond qu’il faut le faire par pertinence professionnelle. « Si vous n’utilisez pas les médias sociaux, vous ne comprenez ni les stratégies d’apprentissage utilisées par les jeunes, ni leurs risques. » Il deviendra donc difficile pour un enseignant qui n’utilise pas les médias sociaux d’intervenir si un élève est victime de cyberintimidation, par exemple.
À la question peut-on devenir « ami » avec ses élèves, le conférencier répond que la relation maitre-élève est trop importante pour ne pas tirer profit des réseaux sociaux. Il invite les enseignants à délimiter leur identité virtuelle en se dotant de profils personnels et professionnels, ces derniers laissant paraitre de l’information qu’ils auront pris soin de filtrer avant de la mettre en ligne.
Le pédagogue invite les enseignants à tirer profit de l’apprentissage social et de l’abondance de ressources des médias sociaux « pour collaborer aux activités, à distance, en tolérant l’erreur, et en laissant des traces réflexives. »
« Ne sous-estimez pas la perception des élèves quant à vos compétences TIC. S’ils ne voient que votre difficulté à brancher un ordinateur, vous n’aidez pas votre cause. » Il suggère aux enseignants d’apporter une tablette numérique en classe, même s’ils n’y connaissent rien. Les élèves accueilleront positivement cette prise de risque de leur enseignant qui ose montrer qu’il ne craint pas les difficultés de l’apprentissage. Les élèves, habiles avec ce type d’appareil, pourront devenir à leur tour des pédagogues qui l’aideront à comprendre le fonctionnement de la tablette et à l’utiliser.
Cette troisième partie de la conférence s’achevant, le conférencier note que les médias sociaux deviennent d’inconditionnels alliés au développement professionnel. Notamment grâce à Twitter où se loge une communauté éducative dynamique et aux blogues, il affirme que cette nouvelle façon d’apprendre au quotidien et en réseau est devenue sa nouvelle université.
Quels changements la technologie a-t-elle sur l’école?
Guité explique que l’école traditionnelle était bien fondée et qu’elle n’a pas changée beaucoup jusqu’à dernièrement. Dans cette école, les savoirs résidaient principalement dans la tête de l’enseignant et dans les livres. De nos jours, les connaissances déclaratives qu’on apprenait jadis par cœur ont peu de valeur. Ce qui importe, c’est de savoir comment les trouver et comment les utiliser. On passe donc du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage.
Pour éviter de creuser la fracture générationnelle, le conférencier affirme qu’il importe d’adapter l’enseignement aux différences des élèves et d’arrimer les pratiques de l’école aux pratiques sociales des TIC. Pour lui, « la technologie ne remplace pas l’enseignant, mais introduit une complexité nouvelle à laquelle il faut former l’enseignant. »
Le pédagogue d’expérience souligne aussi l’importance de la motivation dans l’apprentissage.
Au-delà de l’intégration des technologies à l’enseignement, Guité ajoute que le plaisir et l’émerveillement sont de puissants motivateurs, au même titre que les trois facteurs de la motivation bien connus de Viau (perceptions de compétence, de la valeur de la tâche et de la contrôlabilité.)
Pour les élèves, l’utilisation en classe de leurs appareils mobiles (les élèves sont friands de jeux et de la vidéo en ligne) peut devenir une source intéressante de motivation. Ces appareils que les enseignants associent souvent à des sources de distraction peuvent devenir des objets d’attention si ces derniers voient à encadrer leur utilisation en classe.
Au terme de son exposé, le conférencier rappelle que l’enseignant ne transmet pas la connaissance, mais de l’information et qu’à ce compte, « l’école n’est rien à la mesure d’Internet». Cette information deviendra connaissance chez l’élève quand il l’aura comprise, organisée et assimilée par ses propres mécanismes d’apprentissage.
Enfin, le conférencier conclut sa conférence en livrant cette dernière phrase qui suscite réflexion : «Si l’école ne sait pas intégrer les TIC, les TIC sauront intégrer l’éducation. »
Générations Internet et médias sociaux – L’éducation déstructurée
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