Se croire meilleur ou moins bon qu’on ne l’est a-t-il un impact sur la réussite de l’élève?

Lecture : 4 min.
Mis à jour le 10 Avr 2018

Si l’on interroge des personnes sur l’appréciation de leurs compétences en comparaison de celles des autres, on observe une tendance à se juger, à se croire supérieur à autrui. Comme l’ont montré Mezulis, Abramson, Hyde, et Hankin, (2004), même si cette tendance semble moins prégnante chez les Asiatiques que chez les Américains ou les Européens, elle est universelle. En fait, cette vision positive de soi est considérée par certains comme une marque distinctive du bien-être psychologique d’une personne. Les élèves n’y font pas exception et manifestent généralement un optimisme certain dans l’appréciation de leurs compétences. Or, leur bel optimisme constitue-t-il véritablement un atout en ce qui concerne leur motivation? Ne vaudrait-il pas mieux pour eux qu’ils sous-estiment leurs compétences, s’assurant ainsi de bien travailler et de réaliser les efforts nécessaires pour réussir?

Shutterstock/stockfour

par Thérèse Bouffard, Noémie Gratton et Élizabeth Parent-Taillon (Université du Québec à Montréal)

 

Qu’en pensent les enseignants?

Partons de ce principe : les comportements et pratiques de tout enseignant envers ses élèves sont guidés par ses croyances et le jugement qu’il porte sur eux. Pour cette raison, l’opinion des enseignants sur cette question s’avère cruciale. Dans la seule étude qui semble avoir été publiée sur ce sujet, 67 % des 49 enseignants interrogés considéraient comme préférable, pour le fonctionnement scolaire des élèves, que ces derniers surévaluent leurs compétences et non l’inverse.

Nous avons repris cette question pour l’examiner plus sérieusement en la posant à un nombre plus grand encore d’enseignants. Un des groupes étudiés comprenait 542 futurs enseignants : 53,4 % d’entre eux ont jugé que la sous-évaluation était préférable. Dans deux autres groupes qui comprenaient un total de 823 enseignants en exercice, 54,8 % ont aussi jugé que la sous-évaluation était préférable. En somme, des 1 434 enseignants interrogés, plus de la moitié jugent que pour le fonctionnement scolaire de l’élève, le fait de sous-évaluer ses compétences est préférable pour lui au fait de les surévaluer. Ont-ils raison de penser ainsi?

[Consulter l’étude]

Qu’en disent les études?

Sur la sous-évaluation des compétences, les études scientifiques sont quasi unanimes. Elles ne pointent que des effets délétères, tant en ce qui concerne le fonctionnement des élèves par rapport à leurs apprentissages qu’en ce qui concerne leur bien-être général. Ces élèves disent avoir moins d’estime d’eux-mêmes, de participation en classe, de fierté et de satisfaction que les autres. Ils se disent aussi moins curieux, moins capables et aussi moins disposés que leurs camarades à faire des efforts et à accepter les tâches qui présentent des défis; ils s’engagent moins dans leurs tâches, manquent de persévérance au travail de même qu’ils ressentent plus de colère et d’anxiété que les autres en situation d’évaluation. Dépourvus de la motivation qui découle d’une perception positive de soi, ils en arrivent à atteindre un rendement scolaire inférieur à leurs capacités réelles.

Sur la surévaluation des compétences, la majorité des études, sans être unanimes, relèvent que les élèves s’engagent davantage dans les tâches, perçoivent les échecs comme moins menaçants, moins décourageants et les voient plus comme des défis. À capacités intellectuelles égales, ils réussissent mieux que les autres.

En somme, contrairement à une vision pessimiste de ses compétences sur le plan scolaire, une vision optimiste revêt une valeur adaptative en matière d’apprentissages et de rendements scolaires pour l’élève.

[Consulter l’étude] 

Conclusion

Croire en ses compétences constitue la ressource motivationnelle centrale concernant la réussite éducative des élèves. Pour reprendre une citation de Gandhi : « Se croire capable de faire une chose permet souvent d’acquérir cette capacité qui était absente au départ. » C’est ainsi que l’intelligence se développe.

 

Les auteures remercient le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour leur soutien financier à la conduite des travaux de recherche d’où sont issues les données de cet article. Elles remercient aussi les écoles, les enseignants, les élèves et leurs parents pour leur précieuse collaboration, de même que tous les doctorants ayant contribué à ces travaux.

[Consulter l’article]

Quelques lectures pour en savoir plus :

Bouffard, T., Pansu, P., Boissicat, N. et Vezeau, C. (2013). Quand se juger meilleur ou moins bon qu’il ne l’est s’avère nuisible ou profitable à l’élève. Revue française de pédagogie, (182), 117-140.  Repéré à http://journals.openedition.org/rfp/4020

Bouffard, T., Vezeau, C., Roy, M., & Lengelé, A. (2011). Stability of biases of self-evaluation and relations to well-being in elementary school children. International Journal of Educational Research, 50(4), 221-229. Repéré à www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0883035511000760

Bouffard, T., Vezeau, C. Chouinard, R. et Marcotte, G. (2006). L’illusion d’incompétence et les facteurs associés chez l’élève du primaire. Revue française de pédagogie, (155), 9-20.  Repéré à http://journals.openedition.org/rfp/61

Boyer, P., Bouffard, T. et Lebrun, M. (2016). Relation entre le biais d’auto-évaluation de compétence des élèves en orthographe grammaticale et leur performance. Revue des sciences de l’éducation, 42(1), 39-60. Repéré à www.erudit.org/en/journals/rse/2016-v42-n1-rse02585/1036893ar.pdf

Lévesque-Guillemette, R. Bouffard, T. et Vezeau, C. (2015). Les liens entre le jugement de l’enseignant sur les biais d’auto-évaluation de l’élève et la qualité de leur relation. Revue des sciences de l’éducation, 41(2), 179-198. Repéré à www.erudit.org/fr/revues/rse/2015-v41-n2-rse02267/1034032ar/

Mezulis, A. M., Abramson, L. Y., Hyde, J. S., & Hankin, B. L. (2004). Is there a universal positivity bias in attribution? A meta-analytic review of individual, developmental, and cultural differences in the self-serving attributional bias. Psychological Bulletin, 130(5), 711-744. Repéré à www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15367078

RIRE, L’illusion d’incompétence : un biais négatif lourd en conséquences (2013)

 

Source de l’image : Shutterstock/stockfour

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  • Mais qu’en est-il de l’élève pour qui une valeur juste de ses compétences est dressée par son enseignant et que des objectifs et des moyens sont choisis avec lui dans le but de s’améliorer?

    Elias Abdel-Nour